Pourquoi Hillary Clinton ne sera pas une présidente va-t’en-guerre

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Cet article a d’abord été publié par Vox.com le 9 août 2016.

 

Tout le monde connait Hillary Clinton, et tout le monde connait notamment ses positions en matière de politique étrangère. Après tout, elle est présente dans le débat politique américain depuis plus de 25 ans, durant lesquels elle a aussi détenu des rôles de premier plan : Première dame, sénatrice et Secrétaire d’Etat.

Il est relativement commun de supposer qu’Hillary Clinton est un « faucon » sur les questions de politique étrangère, et qu’en tant que présidente, elle ne ferait qu’accroître l’engagement des Etats-Unis au Moyen-Orient et ailleurs, entraînant l’Amérique dans de nouvelles mésaventures militaires dans de lointaines contrées.

Mark Landler écrit, par exemple, dans le New York Times que « son goût pour les forces armées est enraciné dans la conviction que l’utilisation calculée de la force militaire est vitale pour défendre les intérêts nationaux, et que l’intervention américaine fait souvent plus de bien que de mal ».

Clinton a en effet souvent soutenu le recours à la force. Mais en tant que présidente, il est peu probable qu’elle soit cette belliciste à laquelle tant s’attendent. Premièrement, son bilan est en réalité plus nuancé qu’il n’y paraît. Elle a autant poussé pour des solutions diplomatiques que pour des solutions militaires.

Mais surtout, c’est parce qu’en tant que présidente elle se rendra rapidement compte que l’emploi de la force à l’étranger ne lui offrira que peu d’opportunités pour faire une différence, et s’accompagneront en revanche d’un coût politique national considérable.

 

Hillary Clinton, une va-t’en-guerre ?

 

Ceux qui décrivent Hillary Clinton comme particulièrement belliciste sur les questions de politique étrangère soulèvent souvent un certain nombre de décisions qu’elle a prises ces dernières années pour soutenir l’emploi de la force militaire.

En tant que Première dame dans les années 1990, elle a soutenu l’intervention américaine en ex-Yougoslavie. En tant que sénatrice, elle a voté pour la guerre en Irak en 2003. Elle a soutenu le renforcement de troupes en Irak en 2007 et en Afghanistan en 2009. En tant que Secrétaire d’Etat, elle a prêché en faveur d’une intervention militaire en Libye en 2011 et de mesures musclées en Syrie : par exemple, l’armement très tôt de l’opposition modérée et plus récemment la création de zones d’exclusion aérienne). Là où d’autres ont pu hésiter, elle a soutenu l’emploi de la force pour supprimer Oussama Ben Laden.

Durant la campagne, elle a soutenu les décisions du président Barack Obama de déployer davantage de forces spéciales et d’intensifier les frappes aériennes contre Daech. Nombre de ses conseillers sont connus pour être des défenseurs de l’emploi de la force militaire, notamment en Syrie.

Il serait donc facile de s’appuyer sur son histoire et sa croyance en le leadership et l’exceptionnalisme américain pour conclure que les Américains lassés de la guerre ne trouveront aucun répit avec elle.

 

Hillary Clinton : un faucon prudent

 

Bien qu’il n’y ait pas de doute sur le fait que Clinton a souvent soutenu l’usage de la force, elle a tout aussi fréquemment défendu la diplomatie et la négociation comme première ligne de défense pour le pays.

Comme l’a récemment noté Aaron David Miller du Centre Woodrow Wilson dans le Wall Street Journal, Clinton s’est plainte à plusieurs reprises de la militarisation de la politique étrangère américaine quand elle était Secrétaire d’Etat, et a vanté les mérites du « smart power » selon lequel l’ensemble des éléments du pouvoir national est nécessaire pour résoudre des problèmes de politique étrangère et de la diplomatie lorsqu’elle fut confrontée aux défis de sécurité nationale les plus sérieux.

En accord avec cette approche, elle a entamé des négociations secrètes avec l’Iran en 2012 qui ont finalement abouti à l’accord iranien sur le nucléaire. Elle a de la même manière soutenu l’ouverture du Président Obama vers Cuba. Elle a soutenu et participé à mettre en œuvre la relance des relations avec la Russie entamée en 2009.

Quand Pékin a commencé à devenir agressive dans la mer de Chine du Sud, Hillary Clinton ne s’est pas précipitée vers la solution militaire, mais a plutôt tenté de trouver une approche diplomatique qui contrastait avec l’agressivité militaire de la Chine. 

 

Une présidente Clinton qui aura peu d’opportunités pour des interventions militaires

 

Il devrait y avoir moins d’occasions pour Clinton de faire montre de sa fougue militaire en tant que présidente qu’il n’y en eut quelques années auparavant. Il est évident, pour paraphraser l’observation de Woody Allen sur la vie en général, que toutes les options d’usage de la force pour réparer un Moyen-Orient éclaté ne peuvent qu’osciller entre le misérable et l’horrible.

En Syrie, l’idée de risquer les troupes américaines sur le terrain ou de déclarer la guerre à la Russie pour soutenir une opposition qui consiste principalement en un groupe d’extrémistes islamistes, ne la séduit pas plus que le Président Obama.

Pour lutter contre Daech, Clinton semble s’aligner sur le modèle d’Obama : une utilisation limitée de drones armés, des opérations des forces spéciales, des frappes aériennes et un effort pour améliorer les capacités d’opérations sur le terrain et des fonctions de stabilisation.

Clinton a souvent souligné le fait que le terrorisme ne peut pas être entièrement vaincu sur le champ de bataille. Pour faire face à la menace mouvante et transnationale de l’extrémisme islamique, Clinton affirme que la solution tient principalement dans de meilleures agences de renseignement et de forces de l’ordre, une coopération internationale renforcée, un accès limité aux armes et des efforts pour entraver la radicalisation et le recrutement de terroristes.

 

Clinton veut être une présidente de l’intérieur

 

La raison principale pour laquelle il est peu probable qu’Hillary Clinton ait une politique étrangère belliciste est qu’elle ne sera plus une sénatrice, ni une Secrétaire d’Etat ou une candidate à la présidentielle. Elle sera présidente. Et cela signifie que ses priorités seront bien différentes.

Un vieil adage en politique dit que vos positionnements politiques dépendent de votre poste. Depuis la Maison Blanche d’Hillary Clinton, le monde – et surtout le contexte domestique – apparaîtront différemment que lorsqu’elle dirigeait au Département d’Etat.

En tant que de Secrétaire d’Etat, ses opinions sur les questions de guerre et de paix étaient influencées par le point de vue institutionnel du Département d’Etat. La Secrétaire d’Etat n’avait pas à se soucier des questions politiques internes ou de la popularité du président. En tant que présidente, Clinton sera redevable envers l’opinion publique américaine et aura bien d’autres priorités que la politique étrangère.

Comme l’ont appris les derniers présidents, l’intervention militaire à l’étranger peut s’accompagner d’un prix politique national très lourd. Malgré les gros titres sur le désordre mondial, il n’y a pas de revendications de la part de l’opinion publique américaine ou du Congrès pour une politique militaire plus active, si ce n’est de la part d’une poignée de membres fondateurs de la politique extérieure de Washington (le « blob » comme les a surnommés le collaborateur d’Obama Ben Rhodes).

Cela a été particulièrement visible lors de la campagne des primaires démocrate et républicaine, lorsque le bellicisme est apparu comme un handicap politique dont Bernie Sanders et Donald Trump ont profité. Une enquête récente de Pew par exemple, a trouvé que 57% des Américains interrogés voulaient que les Etats-Unis se concentrent sur ses propres problèmes et laissent les autres pays régler les leurs. Seulement 27% des sondés trouvaient que les Etats-Unis n’en faisaient pas assez pour résoudre les problèmes mondiaux.

Réaffirmer le leadership américain perdu à travers l’usage de la force militaire en Syrie ou ailleurs pourrait satisfaire l’élite de la politique étrangère et l’équipe éditoriale du Washington Post. Cependant un nombre écrasant de Républicains et de Démocrates au Congrès et l’opinion publique déchanteraient rapidement en cas d’interventions prolongées et sans issue qui coûteraient des milliards de dollars et risqueraient des vies américaines.

Clinton sait qu’elle ne peut pas se permettre de ne pas remporter ces batailles politiques en tant que présidente. Elle était devenue Secrétaire d’Etat par hasard, elle ne s’était jamais concentrée jusque-là sur les questions de politique étrangère, elle ne cherchait pas à obtenir ce poste et elle ne l’a pas obtenue grâce à son expérience diplomatique.

Bien qu’elle ait endossé cette position avec enthousiasme et compétence, elle a toujours réservé un plus grand intérêt pour les questions intérieures : la santé, la famille, les droits des femmes et la justice sociale en général. Il ne s’agit pas d’une coïncidence par exemple si les six premiers des sept principaux accomplissements qu’elle liste sur son site de campagne sont des questions de santé, de famille et de droits de l’Homme. Le dernier fait référence à l’obtention d’un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas.

Elle veut laisser sa trace dans la politique intérieure et elle réservera probablement son capital politique pour conclure des accords et des compromis qui seront nécessaires pour faire avancer son agenda de politique intérieure.

Faire le contraire, c’est-à-dire laisser son temps et son énergie être accaparés par des engagements militaires impopulaires, romprait non seulement la confiance de l’aile la plus progressiste du parti, mais endommagerait aussi son image auprès de l’opinion publique.

L’administration de son mari a dépensé la plupart de son capital politique à ses débuts à se remettre du désastre du « Black Hawk Down » d’octobre 1993, dans lequel 18 soldats américains avaient été tués en Somalie. Pour Hillary Clinton, s’enliser militairement en Syrie au commencement de son mandat pourrait réduire sa crédibilité politique et lui laisser ainsi peu de marge de manœuvre pour mettre en œuvre son agenda de politique intérieure.

Finalement, Clinton en tant que présidente devrait continuer à remettre en question les étiquettes dont on la pare. Elle pourrait être plus tentée que son prédécesseur de recourir à l’instrument militaire.

Cependant comme son prédécesseur, elle ne risquera pas sa crédibilité politique, à moins d’être convaincue qu’une telle intervention permettrait aussi bien d’améliorer la situation sur le terrain que d’obtenir l’approbation de l’opinion publique américaine. Dans les quatre prochaines années, de tels cas devraient rarement se présenter.

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