L’Europe qui protège : penser l’Union européenne à venir

A l’occasion de l’anniversaire des 10 ans de l’ECFR, le directeur du think-tank, Mark Leonard, établit un programme pour l’Union européenne à venir

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La survie de l’UE dépend de sa capacité à protéger ses citoyens des forces qu’elle a créées

A l’occasion de l’anniversaire des 10 ans de l’ECFR, le directeur du think-tank, Mark Leonard, établit un programme pour l’Union européenne à venir.

L’Europe doit abandonner tout espoir de façonner le monde à son image, affirme un nouveau rapport du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR). Xi Jinping, Narendra Modi, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan peuvent être des partenaires stratégiques pour l’Union européenne (UE), mais ils ne sont pas ses alliés dans la défense de l’ordre international libéral. De plus, cet ordre a été contesté au sein même de l’UE par la montée des partis contestataires capitalisant sur les peurs et les insécurités engendrées par les phénomènes migratoires et le libre-échange.

Au contraire, les dirigeants européens doivent être réalistes et se concentrer sur la préservation de l’idéal d’un ordre libéral fort à l’intérieur de l’Europe, en acceptant le retour vers un ordre libéral affaibli dans le reste du monde.

A l’international, cela implique d’être disposé à travailler avec les régimes en place, plutôt que de continuer avec la posture morale creuse qui consiste à dire qu’« Assad doit partir ». Cela suppose aussi de comprendre que l’UE n’est pas le seul pôle d’attractivité dans son voisinage oriental. L’Europe peut promouvoir des gouvernements stables en Géorgie, en Ukraine ou en Moldavie, mais ne devrait pas les considérer comme des « Etats-membres en attente ».

Au sein de ses frontières, l’UE doit tirer les enseignements de la révolte populiste avant qu’il ne soit trop tard, afin de repenser le projet européen pour qu’il puisse retrouver sa légitimité. Sur ce plan, le slogan d’Emmanuel Macron d’une « Europe qui protège » pourrait être un modèle adéquat à cette nouvelle Europe.

Les dirigeants européens doivent admettre que c’est justement l’interdépendance que l’UE a cherché à atteindre – que ce soit à travers l’euro, la libre circulation ou le terrorisme – qui a mené à ces sentiments d’impuissance et de vulnérabilité. Aujourd’hui, la survie de l’UE dépend de sa capacité à montrer qu’elle est en mesure de protéger les citoyens des forces qu’elle a elle-même encouragées. Par exemple, l’UE devrait réfléchir à la façon de protéger ses citoyens des impacts négatifs des migrations, notamment sur les services publics ou sur les salaires, à travers l’introduction de fonds d’ajustement des migrations qui donneraient de l’argent aux régions et aux villes particulièrement touchées par le phénomène migratoire afin qu’elles puissent investir dans la construction d’écoles ou d’hôpitaux, et ainsi garantir de meilleures prestations sociales.

Par ailleurs, il est nécessaire de restaurer la confiance, autant entre les citoyens et les gouvernements qu’entre les gouvernements des différents Etats membres. Et les divisions entre ces derniers étant aujourd’hui plus grandes qu’elles ne l’ont été depuis une génération, le meilleur espoir pour une intégration approfondie serait de mettre en place des coalitions flexibles, rassemblant différents pays selon les sujets. Une Europe de cercles concentriques – avec la France et l’Allemagne en son centre – ne résoudra pas le manque de solidarité car une grande partie des divergences sont présentes à l’intérieur de la zone euro et de l’espace Schengen, plutôt qu’entre les différents cercles.

Mais l’Allemagne et la France sont néanmoins les acteurs clé d’une reconstruction du projet européen. L’Allemagne commence à comprendre son rôle essentiel et à prendre davantage de responsabilités pour sa sécurité, promettant d’augmenter de 8% son budget pour la défense cette année. Mais au-delà de l’amélioration de ses capacités, l’Allemagne doit changer d’état d’esprit : elle doit être plus fexible,– plus disposée à travailler en dehors des institutions de l’UE et à adopter une approche moins rigide sur les principes économiques et l’interprétation des règles.

Parallèlement, Emmanuel Macron pourrait être la personnalité politique qui aiderait à dépasser certaines des divisions qui traversent l’Europe – par exemple, à travers une combinaison de mesures anti-terroristes strictes et d’une approche plus humanitaire de la crise des réfugiés. Pour une UE qui a été immobilisée par les désaccords, ces grands compromis du « en même temps » que propose Macron pourraient offrir une chance d’avancer qui manque cruellement.

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