Un processus régional peut-il sortir le processus de paix israélo-palestinien de l’impasse ?

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De tous les pays au Moyen-Orient, Israël est celui qui jusqu'à présent a le plus bénéficié du contexte régional post-printemps arabes. Les troubles géopolitiques au Moyen-Orient ont notamment fourni des opportunités sans précédent à Israël pour faire discrètement progresser un processus de normalisation avec le monde arabe, qui a été largement détaché du cas palestinien.

Israël a profité de ce nouveau statu quo pour se rapprocher progressivement d'un certain nombre de pays arabes qui ne le reconnaissent pas officiellement, y compris des États du Golfe tels que les Emirats arabes unis et l'Arabie saoudite. Nombre de ces relations ont été maintenues à l’arrière-plan pendant plusieurs années, mais le contexte régional actuel et la découverte par Israël de l’immense champ de gaz Léviathan constituent un terrain privilégié pour les développer plus ouvertement.

L'intérêt commun à contenir et limiter l'hégémonie iranienne a, entre autres, joué un rôle de catalyseur pour des relations plus étroites entre Israël et les régimes arabes sunnites à travers le Moyen-Orient. Cela s’ajoute à la frustration et l'opposition de la région à l'accord nucléaire entre les Etats-Unis et l’Iran, et au recul plus généralisé de la présence américaine au Moyen-Orient. Dans ce contexte, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou défend l’idée selon laquelle « les principaux pays du Moyen-Orient commencent à se rendre compte qu’Israël n’est pas leur ennemi mortel, et constitue même un allié potentiel pour relever des défis communs ».

Israël a cherché à exploiter les fractures politiques dans la région pour contrer les revendications palestiniennes de reconnaissance internationale par sa propre volonté de normalisation régionale. Le pays cherche également à faire des incursions au-delà du Moyen-Orient, y compris en Afrique, où les efforts israéliens pour renouer des liens diplomatiques avec le Tchad – un pays à majorité musulmane – pourraient porter leurs fruits dans un avenir proche. Le récent voyage de Netanyahou en Afrique sub-saharienne semble également signaler un intérêt réciproque accru qui pourrait, à long terme, avoir un impact positif sur la position d'Israël au sein des Nations Unies. L’Asie n’est pas en reste puisque B. Netanyahou a préconisé l'établissement de relations avec le pays musulman le plus peuplé du monde : l’Indonésie.

 

Alors que les échanges commerciaux, l'énergie et la coopération en matière de sécurité sont souvent les moteurs de ces relations naissantes, les dirigeants israéliens ont vanté le « printemps diplomatique » de leur pays comme le signe que la résolution de la question palestinienne ne constituait plus un prérequis pour une coopération stratégique avec Israël. L'arc des conflits qui s’est propagé dans toute la région dans le sillage des printemps arabes a également été utilisé pour détourner l’attention internationale des actions israéliennes dans les Territoires palestiniens occupés (TPO). L'argument d’Israël est que la non-résolution de la question palestinienne n’est plus le facteur principal d'instabilité dans le monde islamique, et par conséquent ne constitue donc pas une priorité stratégique.

 

L’absence des Palestiniens

 
Ce début de rapprochement israélien avec les Etats arabes ne signale pas pour autant une acceptation complète, étant donné que ces relations restent très superficielles. De plus, les relations pragmatiques dont de nombreux dirigeants de la région jouissent avec Israël ne semblent pas prêtes de s’étendre aux populations arabes, qui restent violemment anti-israéliennes – voire dans certains cas violemment antisémites. Néanmoins, Israël et les Etats arabes ont montré qu'ils partageaient un intérêt commun sur ​​les dossiers clés au-delà de la question palestinienne, et il semble qu’il reste encore de la marge pour un rapprochement croissant sans avoir à recourir à une normalisation complète.
Un des exploits de la politique étrangère de Netanyahou a été de faire avancer la normalisation sans bouger d'un iota sur la question palestinienne. Les officiels égyptiens et d'autres Etats arabes ont réitéré leur engagement à défendre les droits des Palestiniens à plusieurs reprises et ont notamment évoqué l'idée d'une approche régionale pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Il est possible qu’un tel discours ne soit pas seulement un alibi pour légitimer et faciliter leurs relations avec Israël.
En réalité, Israël doit se contenter de faire le minimum sur la question palestinienne afin de maintenir ses relations dans la région. Pour nombre d'Israéliens, la théorie selon laquelle les Etats arabes fermeront les yeux à contrecœur sur le traitement des Palestiniens pour le bien de leurs intérêts stratégiques immédiats est loin d’être réfutée.
 
Les actions israéliennes conduisent parfois à la dégradation de ses relations régionales, mais seulement de manière passagère. La Jordanie et l'Egypte ont ainsi rappelé leurs ambassadeurs en Israël en réponse aux actions israéliennes dans les territoires palestiniens occupés, mais l’une comme l’autre les ont finalement renvoyés dans un effort d’amélioration de leurs relations. De même, loin de restreindre les actions israéliennes dans la bande de Gaza, l’Egypte du président Abdel Fattah el-Sissi partage avec Israël une même hostilité envers le Hamas.
 
Cela vaut également pour les relations Israël-Turquie qui ont souffert d’une grave rupture en mai 2010, provoquée par l’abordage de la flotille pour Gaza. Cette intervention militaire a fait neuf mort et vingt-huit blessés parmi les militants turcs qui s’acheminaient à destination de Gaza à bord du navire Mavi Marmara. Malgré cet épisode dans lequel les actions d’Israël ont été largement condamnées par la communauté internationale, les relations entre Tel-Aviv et Ankara se sont considérablement normalisées. La Turquie est parvenue à obtenir des excuses ainsi qu’une compensation de la part d'Israël, mais elle a finalement cédé sur sa troisième condition, qui était la suppression du blocus israélien sur la bande de Gaza, acceptant à la place de fournir l’aide humanitaire turque par le biais du port israélien d'Ashdod. Bien que cela ait été présenté par le gouvernement turc comme une concession soutirée à Israël, cela n'a en réalité pas modifié la politique israélienne, ni allégé les conditions de vie des habitants de Gaza.
 
Dans cette situation, les Palestiniens brillent par leur absence. En effet, aucune stratégie n’a été menée pour interpeler ou mettre dans l’embarras les dirigeants arabes au sujet de leur rapprochement avec Israël, à leurs dépens. Ils n'ont montré aucune capacité à tirer parti des relations israélo-arabes. Au lieu de cela, les Palestiniens se sont retrouvés de plus en plus isolés, les mesures prises par le président palestinien Mahmoud Abbas pour obtenir un soutien arabe ayant été conçues pour consolider sa popularité au niveau intérieur.

 
Un processus de paix régional ?
 

L'alignement apparent des intérêts israéliens et arabes – allant de pair avec les indications égyptiennes qu’ils pourraient favoriser le processus de paix régional – a été saisi par les autorités européennes et les décideurs israéliens comme une occasion historique qui pourrait transformer la région. Cette conviction a visiblement été renforcée grâce à de récentes visites en Israël par une délégation d’éminents Saoudiens et du ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Shoukry, pour discuter de la perspective d'une paix régionale. La possibilité d’une visite similaire au Caire par Netanyahou a déjà été soulevée.
 
Cette idée selon laquelle un engagement régional accru pourrait aider à régler le conflit israélo-palestinien s’est avérée particulièrement attrayante pour la Haute Représentante de l’Union européenne Federica Mogherini, ainsi que pour d'autres dirigeants européens. Mais l'Europe doit se prémunir contre les tentatives israéliennes de duper le monde avec encore un processus ne menant nulle part et soutenu par l’Egypte. Les deux parties semblent en effet utiliser cela comme un stratagème pour faire avancer leurs intérêts personnels au détriment d'un accord de paix avec les Palestiniens.
 
Pour l'Egypte, le fait de diriger le processus donne au président Sissi une légitimité politique accrue sur la scène internationale et l'aide à sécuriser ses relations avec les États-Unis. Cela fournit par ailleurs une distraction utile aux problèmes économiques et de respect des droits de l’Homme à l’intérieur du pays. Pour Israël, cela lui permet de gagner du temps pendant les derniers mois de l'administration du président Barack Obama et de bloquer ce que le Premier ministre Netanyahou perçoit comme des mesures plus engageantes, que ce soit sous la forme de l'initiative de paix française ou d’une révision par les Etats-Unis des paramètres qui encadreraient les futures négociations de paix.
 

Cela n'a pas empêché le gouvernement israélien de mettre en scène sa redécouverte de l'Initiative de Paix arabe de 2002 (IPA). Malgré le fait que cette initiative offrait la pleine normalisation des relations arabes avec Israël en échange d'un accord de paix israélo-palestinien, aucun gouvernement israélien n’avait jusqu'à présent fourni de réponse officielle. Délivrant la première réponse d’Israël, 14 ans après le premier dépôt de l’initiative, B. Netanyahou a déclaré que, bien que l'IPA ait inclus des éléments positifs qui peuvent aider à relancer des négociations constructives avec les Palestiniens, il serait nécessaire que les Etats arabes fassent quelques révisions.

 

Entre les lignes, ce commentaire montre un désir de pousser les pays arabes à faire des concessions que les Palestiniens ne sont pas prêts à donner – que ce soit sur les frontières ou sur le caractère juif d'Israël. Dans le même temps, Israël ne voit guère l’intérêt de faire des concessions douloureuses sur la question palestinienne afin d'obtenir des pays de la région ce qu'il veut déjà, si les dynamiques actuelles se poursuivent. Plus précisément, rien dans ces dynamiques ne remet sérieusement en question la préférence d'Israël pour le maintien du statu quo dans les territoires palestiniens occupés.

Le Premier ministre Netanyahou tente de renverser l'idée que la normalisation devrait nécessairement découler d'un accord de paix avec les Palestiniens. En cas de doute, Tony Blair – qui a joué un rôle dans la promotion d'une initiative israélo-égyptienne de paix – a expliqué qu’ « à condition que le gouvernement israélien soit prêt à engager une discussion autour de l’initiative de paix arabe […] il serait possible de progresser vers la normalisation afin de renforcer ce processus. Avec le nouveau leadership dans la région aujourd’hui, cela est devenu possible ».

 

Compte tenu de l’habitude d'Israël par le passé d’obtenir des concessions tout en évitant de progresser vers un Etat palestinien, jouer la carte de la normalisation pour le bien d’un processus toujours plus vide de sens serait une grave erreur. Le fait de dissocier le développement des relations israélo-arabes d’une avancée sincère vers une solution à deux Etats, montre bien qu'Israël est convaincu qu'il peut laisser indéfiniment de côté la question palestinienne, tout en poursuivant ses relations avec les pays arabes qui l’intéressent. Au lieu de cela, la Ligue arabe et ses membres doivent maintenir fermement les conditions énoncées dans l'Initiative de paix arabe, en particulier celle faisant de la paix avec les Palestiniens la condition préalable à la normalisation régionale complète.

 

Si les Etats arabes restent attachés à une coopération accrue avec Israël, ils devraient tenter de voir comment ces liens croissants pourraient être mis au profit de la souveraineté palestinienne. Cela pourrait inclure des discussions avec l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP) (et l'Union européenne) sur les mesures provisoires qui pourraient être offertes, sans aller jusqu’à la normalisation, en échange de mesures concrètes et irréversibles de la part d’Israël dans le sens de la réalisation d’un Etat palestinien.

 

Les Etats arabes pourraient par exemple envisager de maintenir l'offre de la Ligue arabe de reconnaitre Israël dans ses frontières de 1967 en échange de la reconnaissance par Israël d'un Etat palestinien sur la base des paramètres internationalement acceptés de longue date pour le règlement du conflit. Cela pourrait être lié à un ensemble de mesures de confiance entre Israéliens et Palestiniens, y compris la fin de la troisième phase du processus de redéploiement israélien, prévu par l'Accord de Wye River en 1998 et par le mémorandum de Charm El-Cheikh en 1999, dans lesquels Israël s’est engagé à transférer les territoires des zones C à B et à A,

à accroître l'accès à la zone économique palestinienne C, à geler les activités de colonisation et à mettre fin aux démolitions de biens palestiniens, ainsi qu’à permettre la réouverture des institutions palestiniennes à Jérusalem-Est et la tenue d'élections palestiniennes.

 

L'Europe devrait travailler avec les pays arabes pour que ces avancées soient acceptées par Israël, au moins en principe, et ainsi éviter qu’elles ne se fassent aspirer par des négociations vides de sens. Malgré la difficulté pour Israël d'accepter ces conditions compte tenu de son contexte national, cela permettrait au moins de le pousser à faire preuve d’un engagement réel pour une solution à deux Etats et permettrait d’imposer à nouveau un degré de conditionnalité dans ses relations avec le monde arabe.

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