Sept jours pour sauver l’Union européenne

Les élections européennes auront lieu la semaine prochaine – notre dernier sondage paneuropéen révèle que les électeurs sont profondément préoccupés par ce que l'avenir leur réserve​.

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Les élections européennes auront lieu la semaine prochaine – notre dernier sondage paneuropéen révèle que les électeurs sont profondément préoccupés par ce que l'avenir leur réserve​.

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Il reste sept jours pour résoudre le paradoxe au cœur du projet européen. Alors que les élections européennes approchent à grands pas et que le soutien à l'adhésion à l'Union européenne (UE) atteint un niveau record – deux tiers des Européens pensant actuellement que l’UE est une bonne chose, la part la plus importante depuis 1983 – une majorité craint pourtant également que l'Union ne s'effondre. Le défi pour les pro-Européens est d'utiliser cette peur de la perte pour mobiliser leur majorité silencieuse et s'assurer que ce ne sont pas seulement les partis antisystème qui auront leur mot à dire le 26 mai.

La forte augmentation du soutien à l'adhésion à l'UE est sans aucun doute une réaction à un environnement politique instable. Nous n'apprécions la valeur de la sécurité européenne que lorsque nous sommes sur le point de la perdre. Il suffit de regarder le Royaume-Uni, où des pro-Européens, autrefois complaisants, ne se réunissent que maintenant, presque trois ans après le référendum sur le Brexit, pour se mobiliser en faveur de l'UE.

L'anxiété des électeurs à l'égard de l'avenir se manifeste dans de nombreux domaines différents. Premièrement, ce sentiment de précarité a une dimension économique importante. Dans presque tous les pays étudiés, la majorité des personnes interrogées estiment que leurs enfants n’auront pas une meilleure situation que la leur. Dans chacun de ces pays, la capacité de s'offrir un certain confort de vie est l'un des deux principaux facteurs qui, selon les sondés, leur assureraient un avenir prospère, ainsi qu’à leur famille.

Il y a aussi une dimension géopolitique. Les Européens sont préoccupés par l'instabilité de l'environnement international, en particulier l'incertitude dans les relations de l'UE avec les États-Unis, la Chine et la Russie. La sécurité est également une très grande préoccupation des répondants lorsque la question sur leur avenir est posée. Les Européens sont aujourd'hui inquiets (la « peur » étant la principale identité émotionnelle des électeurs en France, en République tchèque et en Slovaquie) et « stressés » (en particulier en Italie, en Hongrie et en Grèce). On constate néanmoins un « optimisme » résistant (particulièrement évident en Allemagne, en Pologne, en Espagne, en Autriche et en Roumanie). Le Danemark et la Suède sortent du lot, car beaucoup de sondés ont indiqué qu’ils se sentaient « heureux » et « en sécurité ».

L'UE est le projet de paix le plus connu au monde. Mais aujourd'hui, nombreux sont ceux qui s'inquiètent de ce que même ce projet ait fait son temps. L'enquête de l'ECFR a révélé que trois électeurs sur dix pensent qu’un conflit entre les pays de l'UE est possible. Ce sentiment s'est manifesté dans la prévalence des préoccupations concernant le nationalisme en tant que menace pour l'UE : en Autriche, en Allemagne et en Grèce – tous les pays ayant une part élevée de migrants par habitant depuis 2015 – il a été perçu comme une menace au moins aussi importante que l'immigration.

Pour ces personnes, la réalité de l'Europe contemporaine est celle de la concurrence et des conflits plutôt que de la coopération. Ce n'est pas qu'ils pensent nécessairement que des hostilités pourraient éclater demain, mais qu'il y a une logique de conflit dans un continent profondément divisé. Actuellement, cette logique de conflit pousse de nombreux Européens dans deux directions : vers une déconnexion avec le système politique (dans cinq grands Etats membres, la majorité de ceux qui prévoient de s'abstenir de voter pensent qu’un conflit entre Etats membres de l'UE est possible) ou vers des partis antisystèmes (46 % des électeurs du Rassemblement national et 41 % de l’Alternative pour l’Allemagne croient qu’un tel affrontement est possible).

Le défi consiste à renouer le contact avec ces électeurs, à les convaincre non seulement qu’il vaut la peine d’aller voter – en gardant à l’esprit les questions qui les préoccupent pour l’avenir – mais aussi que les partis traditionnels peuvent leur offrir un avenir plus sûr, plus équitable et plus confortable. Emmanuel Macron est l'un des rares dirigeants du centre de la politique européenne à avoir tenté de plaider en faveur d'une Europe réformée et plus déterminée à protéger. Mais son projet de réforme a reçu une réponse mitigée de la part de ses homologues dans d'autres capitales, notamment à Berlin, qui se sont montrés incapables de penser au-delà des limites de la politique traditionnelle des partis, dans un moment délicat.

Les partis verts à travers l'UE ont également essayé de défendre l'internationalisme auprès de leurs électeurs. Mais, bien que les données de l'enquête de l'ECFR montrent un engagement latent et croissant à l'égard des questions écologiques, ces partis n'ont pas réussi à créer suffisamment de drame et de sentiment d'urgence dans leur programme pour provoquer une croissance dans leur soutien.

Pour une véritable inspiration sur la manière de communiquer au-delà des électeurs déjà mobilisés, les pro-Européens doivent regarder au-delà du système des partis. Pensez à Greta Thunberg ou aux gilets jaunes – ces mouvements utilisent la logique de conflit pour communiquer une vision différente de l'avenir. Dans les groupes de discussion de l’ECFR organisés en Allemagne, en France, en Italie et en Pologne dans le cadre du projet « Débloquer la majorité européenne », l’engouement autour des images des gilets jaunes ou d’Extinction Rebellion était palpable. Pourtant, l'énergie s’est évaporée à la sortie de la salle lorsque les participants ont été confrontés aux images du Parlement européen. Extinction Rebellion utilise l'action directe pour ouvrir des portes, mais a établi un programme politique et est prête à rencontrer et à s'engager avec les politiciens – dans une tentative de connecter le système politique au monde antisystème.

Les pro-Européens doivent également s'efforcer de renouer le contact avec les électeurs. Ils doivent montrer qu'ils reconnaissent le fossé profond qui sépare les électeurs des partis et qu'ils doivent offrir une vision d'un avenir européen qui donne à la majorité silencieuse le sentiment qu'il vaut la peine de venir voter en mai.

Il n'est pas encore trop tard : avec un électorat européen instable, il pourrait y avoir jusqu'à 97 millions de personnes qui envisagent de voter et qui pourraient encore être persuadées de soutenir différents partis, et davantage encore qui pourraient être mobilisées pour le faire avec des arguments puissants. Mais à une semaine de l'élection, il sera peut-être bientôt trop tard, du moins pour le cycle actuel du conflit.

Mark Leonard est le co-fondateur et directeur de l’ECFR.

Susi Dennison est chercheuse et directrice du programme Europe Puissance de l’ECFR.

Méthodologie
La deuxième série de sondages a été menée par YouGov en mars 2019. Elle comprend 1 000 échantillons pour chacun des 14 pays, à l'exception de la Suède (2 000), du Danemark (1 400), de la Grèce et de la Slovaquie (500).

La liste complète des 14 pays comprend : l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, l'Espagne, la France, la Grèce, la Hongrie, l'Italie, les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Suède.

Dans la presse :

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