Quelle stratégie européenne pour la Syrie ?

Les Européens doivent rejeter l'approche contre-productive de la « pression maximale » et adopter une stratégie de « société maximale ». 

Image par Delil Souleiman/AFP
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Les familles mangent chaque jour de moins en moins – quand elles parviennent à mettre de la nourriture sur la table. Des parents désespérés décident de mettre fin à la scolarisation de leurs enfants pour les envoyer travailler. Alors que l’État s’effondre encore davantage, le gouvernement, qui depuis longtemps prend pour cible sa propre population à force d’armes chimiques et de destruction d’hôpitaux, retient encore des milliers de Syriens dans les prisons.

Et maintenant, le spectre de la propagation du coronavirus plane sur le pays, annonciateur d’une catastrophe sanitaire et économique qui pourrait pousser le pays au fond du gouffre.

« La situation en Syrie continue de s’aggraver »– voilà une observation faite maintes fois pendant les neuf dernières années de ce conflit brutal. Mais la souffrance constante du peuple syrien et l’impact du conflit sur les intérêts européens devraient tout de même susciter une réflexion interne approfondie en Europe. Les Européens peuvent-ils encore changer la donne alors que le conflit a passé un nouveau cap ? 

Non seulement le peuvent-ils mais ils doivent le faire. En adoptant une stratégie de « société maximale » (et pas juste de pression maximale) visant à renforcer la résilience de la société syrienne sur le terrain ainsi qu’un programme de transformation sur le plus long-terme, les Européens peuvent encore être une force au service du bien. Le régime de Bachar el-Assad demeure le problème, et il ne peut pas être la solution. Mais, les Européens doivent proposer un agenda constructif qui tienne compte du fait qu’une transition politique n’est pas envisageable dans les conditions actuelles. En l’absence d’un tel programme, la souffrance des Syriens, et les intérêts européens qui y sont associés, ne feront que s’aggraver.

Dans la configuration actuelle, Bachar el-Assad a effectivement gagné la bataille militaire et fait désormais face à un nouveau défi pour renforcer sa mainmise sur le pays : les États-Unis et quelques gouvernements européens parient sur le fait qu’il ne parviendra pas à restaurer la paix dans le pays. Même si les problèmes du régime découlent principalement d’une gestion rongée par la corruption, les acteurs occidentaux sont résolus à utiliser leurs derniers ressorts d’influence dans l’espoir de remporter ce pari.

 

Les États-Unis ont lancé une nouvelle offensive sous la forme d’une campagne de pression économique, férocement déterminés à empêcher une victoire durable de la Russie et de l’Iran en Syrie. Cette campagne vise à renforcer l’isolement et les souffrances internes au pays, tout en faisant payer aux puissances étrangères plus cher leur soutien à Bachar el-Assad. Son objectif affiché est d’obtenir un « changement de comportement », mais ce qu’ils cherchent véritablement est un effondrement du régime.

Toutefois, depuis le début de la campagne américaine, quelques représentants européens sont de plus en plus conscients que cette stratégie américaine en faveur de l’effondrement du régime ne favoriserait pas leurs intérêts. Bachar el-Assad est responsable de l’écroulement de la société syrienne, mais plusieurs représentants – y compris ceux qui sont en faveur de son renversement – craignent que la stratégie américaine ne mette la Syrie à genoux, faisant part d’un « mépris total pour le peuple syrien et la stabilité régionale ».

Promouvoir une faillite encore plus poussée de l’État syrien ne fera probablement qu’aggraver l’instabilité et renforcer l’emprise militaire de Bachar el-Assad sur le pays, qui s’appuie sur les institutions nécessaires à son maintien au pouvoir. Cela ne débouchera pas sur une transition, mais sur davantage de souffrances pour la population syrienne, davantage de réfugiés et un terreau fertile pour une résurgence de l’extrémisme. Sans parler de l’impact potentiellement dévastateur du coronavirus.

Les Européens doivent rejeter cette approche contre-productive de la « pression maximale ».

Les Européens doivent rejeter cette approche contre-productive de la « pression maximale ». Les gouvernements européens devraient ainsi mettre en place une stratégie constructive s’attachant à la protection et au renforcement de ces forces au sein de la société qui résistent encore, plutôt qu’à leur asphyxie et à leur démantèlement. Eux seuls pourront reconstruire une Syrie capable de répondre aux besoins de son peuple, alimentaires dans un premier temps, puis d’un niveau minimum de stabilité – voire même de leur fournir les bases d’un possible changement politique à long-terme.

Cette stratégie européenne devrait désormais inclure une coopération accrue avec les acteurs syriens sur le terrain dans les zones contrôlées par le gouvernement, avec une attention particulière pour les initiatives renforçant les capacités locales. Cela devrait inclure un soutien accru au développement, à l’acheminement de davantage d’aides directes pour la population syrienne, ainsi qu’une mise en œuvre plus efficace des exceptions aux sanctions européennes pour les aides humanitaires qui ne sont actuellement pas respectées. Cette approche suppose de renoncer à toute ambition d’un changement de régime à court terme, mais elle ne devrait inclure ni un soutien plus large pour la reconstruction ni une re-légitimation de Bachar el-Assad par l’Europe, qui devrait découler du processus de transformation politique d’ensemble.

Les Européens devront avancer avec la plus grande précaution, n’apportant leur soutien qu’à des petites initiatives et s’attachant à des principes fondamentaux pour que le régime ne puisse plus tirer profit d’une aide externe supplémentaire qui renforcerait sa position. Mais alors que la marge de manœuvre sur le terrain se réduit – et il sera clairement impossible de présenter des projets ouvertement politiques – il est faux d’affirmer que rien ne peut être fait tant que Bachar el-Assad n’est pas renversé. Les Syriens sont les premiers à avertir des dérives du régime, mais beaucoup d’entre eux appellent néanmoins les Européens à trouver de prudentes ouvertures pour agir davantage.

En fin de compte, une stratégie de « société maximale » cherche à contourner le régime syrien pour renforcer ces forces sur le terrain qui survivent encore sous sa domination. Aider ces individus et ces reliquats de vie en société indépendante à survivre est vital pour l’avenir de la Syrie – ainsi que pour les intérêts des Européens.

 

Cet article a d'abord été publié par Le Journal du Dimanche.

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