Pologne : que s’est-il passé ?

Des condamnations de principe et l’allocation de davantage d’aides financières supplémentaires de l’Union européenne (UE) à la Pologne ne résoudront pas le problème de la montée de la xénophobie en Pologne.

Des condamnations de principe et l’allocation de davantage d’aides financières supplémentaires de l’Union européenne (UE) à la Pologne ne résoudront pas le problème de la montée de la xénophobie en Pologne.

Mi-novembre, la Pologne célébrait son indépendance. Personne ne l’aurait remarqué mais quelques personnes ont mis le feu à Varsovie, comme l’ont laissé suggérer les clichés en prise de vue aérienne du Palais de la Culture et des Sciences.

Cela ressemble à une révolution. Toutefois, malgré les apparences, aucun feu n’a été allumé et aucune victime n’est à déplorer. Mais il y a bien eu une explosion au sens métaphorique. Ces photographies ont capturé un moment fort dans l’histoire polonaise, un moment durant lequel la Pologne a célébré son indépendance si longtemps attendue et son incroyable succès en se détruisant dans les feux qu’elle a elle-même allumés. C’est une tragédie en direct et en couleurs en partie provoquée par un gouvernement dont la xénophobie est telle qu’il préfère s’immoler plutôt que de partager sa souveraineté avec ses partenaires de l’Union européenne (UE).

Les « feux » faisaient partie de la prétendue « Marche de l’indépendance » organisée chaque année depuis 2010 par des groupes d’extrême-droite, dont le Camp national-radical et le All-Polish Youth. Cette année, près de 60 000 Polonais se sont rassemblés pour célébrer l’indépendance d’une façon bien particulière, en entonnant des slogans ethnico-religieux comme « nous voulons Dieu » ou « la Pologne aux Polonais », en lançant des balises rouges et en jetant des bombes fumigènes. Des groupes encore plus radicaux les ont ensuite rejoints avec des slogans ouvertement racistes, antisémites et islamophobes.

Bien sûr, chaque pays a ses hooligans. Ce qui différencie la Pologne des autres est que ces mêmes hooligans sont un élément clé de la base politique du gouvernement. Face à cette violence, la plupart des gouvernements auraient réagi rapidement et sans équivoque, en condamnant la violence de ces groupes et en les interdisant tout simplement. Au contraire, les médias contrôlés par le gouvernement décrivent ces scènes comme « une grande marche des patriotes » tandis que le dirigeant du parti au pouvoir Droit et justice (PiS), Jaroslaw Kaczynski, a disqualifié ce qu’il a appelé des « provocateurs » marginaux.

L’événement en lui-même et l’absence de réaction du gouvernement ont laissé les autres Européens perplexes et inquiets. La Pologne serait-elle devenue complètement fasciste ? Quel est ce pays ? Quel est leur problème ? Est-ce que je peux toujours y voyager sans me faire frapper au visage par quelqu’un ? Cela a-t-il bien lieu au sein même de l’UE ?

Pour une Polonaise vivant à l’étranger, c’est un spectacle très douloureux à regarder. Aux yeux de mes collègues londoniens, la Pologne apparait comme raciste et xénophobe. Mais ce n’est pas la Pologne que je connais et dans laquelle j’ai vécue. Au milieu des années 2000, je vivais dans un pays qui, après des décennies d’isolation communiste, se réveillait, s’ouvrait, et qui voyait l’Europe comme une amie – comme la Terre Promise. Je suis partie il y a 10 ans, prise dans la vague euro-enthousiaste des jeunes d’alors, heureux de profiter des opportunités offertes par l’adhésion à l’Union européenne. Nous voulions absolument prouver que les valeurs européennes étaient les nôtres, que nous étions ouverts d’esprit et prêts à travailler ensemble pour le bien commun et la prospérité.

Peut-être sommes-nous partis trop tôt. Ceux qui sont restés au pays disent à présent que tous les gouvernements post-communistes ont échoué. On prétend que des restes du communisme ou d’autres éléments exogènes sont toujours dans le système et doivent être éradiqués. L’Europe est un ennemi, les réfugiés un danger, la Pologne est aux Polonais et en passant, l’Allemagne doit à la Pologne de très grosses réparations.

Tout ceci est plus qu’un peu déroutant. Un voyage dans ma ville natale de Gdańsk juste avant la « marche de l’indépendance » m’a rappelé à quel point la Pologne avait énormément progressé depuis son adhésion à l’UE. La transformation post-communiste a représenté pour la Pologne un effort à la fois colossal et collectif, qui a porté ses fruits en matière économique et sécuritaire. D’un pays obscur et corrompu à la périphérie de l’Europe, la Pologne est devenue un pays prospère, sûr, un acteur européen majeur et un partenaire de confiance.

Il y a vingt ans, les seuls étrangers que l’on rencontrait à Gdansk étaient des Allemands qui s’y rendaient par nostalgie. Le dimanche soir, la vieille ville, magnifique, était déserte. Maintenant, Gdansk s’est auto-proclamé « la ville de la liberté », fière d’être le lieu de naissance de Solidarność. C’est une ville balte charmante et vibrante, qui attire de nombreux touristes et investisseurs. Mais combien de temps cela va-t-il pouvoir durer avec le climat politique actuel ? La Pologne prend en effet le risque de gâcher son potentiel.

Que s’est-il passé ? La transformation de la Pologne a peut-être été trop brusque, en laissant sur le côté un trop grand nombre de personnes, assaillies par un capitalisme vorace, et abasourdies par tant de changements culturels. Ou peut-être que les gens comme moi n’ont jamais véritablement compris la Pologne. Les élites libérales pensaient pouvoir mener la Pologne vers une nouvelle ère, sans sentir l’impulsion conservatrice de leurs concitoyens. Nous n’avons pas réussi à comprendre à quel point la Pologne était conservatrice – pas en termes économiques, mais en termes de valeurs. La religion et la famille sont déterminantes pour l’identité nationale de la Pologne et sont en effet le fondement de l’indépendance. On peut transformer l’économie, mais on ne peut pas transformer de telles valeurs.

Ainsi, si la Pologne est raciste et xénophobe, nous ne devrions pas seulement le condamner, lui allouer encore plus d’aides européennes, et attendre qu’elle change. La leçon à tirer des vingt dernières années est que nous devons faire plus d’efforts pour comprendre le mécontentement populaire au lieu de le disqualifier.

Avant la Seconde guerre mondiale, la Pologne était diverse sur le plan ethnique et religieux. Depuis, elle est devenue extrêmement homogène – avec une très grande majorité de Catholiques et de Polonais. La Pologne a été coupée du monde durant la période soviétique, isolée et dominée par son pire ennemi. Que des voisins puissent être des amis et des partenaires est pour la Pologne une idée plutôt novatrice et contre-intuitive. Les temps ont changé, mais l’Histoire a son importance, et a rendu la Pologne très méfiante.

Il devient clair à présent que ce que l’Europe a considéré comme des succès les vingt dernières années a provoqué un vif sentiment d’insécurité chez de nombreux Polonais. Il est vrai, un gouvernement avisé chercherait à régler ce problème avant qu’il ne devienne hors de contrôle. Mais la Pologne n’a pas un gouvernement avisé : au contraire, ce dernier a choisi le feu qui menace la Pologne afin de nourrir sa domination politique.

Jaroslaw Kaczynski est dans le déni quand il dit que cette marche a été perturbée par quelques « provocateurs ». Il s’agissait de groupes que sa Pologne vindicative a laissé prospérer. Le PiS doit se rendre compte qu’il est responsable de ce qui s’est produit dans les rues de Varsovie le 11 novembre. Plus important, il doit s’en préoccuper.

L’année prochaine, la Pologne célèbrera le 100e anniversaire de son indépendance. Ce siècle a été difficile, mais la Pologne peut être fière d’avoir survécu et, finalement, d’avoir même prospéré. La Fête de l’Indépendance de 2018 pourrait et devrait être un jour de grâce durant lequel les Polonais se sentiraient fiers et reconnaissants de tout ce qui a été accompli. Mais les choses ne se présentent pas sous de si bons augures. Si les tendances politiques et sociales actuelles de la Pologne demeurent en l’état, les photographies de la Marche de l’an prochain pourraient être bien pires. 

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