Le Trident, un remplacement difficile à assurer ?

La sortie du Royaume-Uni de l'UE pourrait rendre le remplacement du Trident plus difficile à assurer.

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La sortie du Royaume-Uni de l'UE pourrait rendre le remplacement du Trident plus difficile à assurer.

En juillet dernier, six jours après être devenue Premier ministre, Theresa May a pris le temps de participer à un débat à la Chambre des Communes sur le remplacement de l’arsenal de dissuasion nucléaire vieillissant du Royaume-Uni, en plein chaos après le vote sur le Brexit. Cela pourrait sembler être une étrange priorité. Mais la division de l’opposition travailliste offrait une opportunité rêvée pour les parlementaires conservateurs – encore en état de choc après leur guerre civile sur le Brexit – de se rassembler et d’enregistrer une victoire politique avant les vacances d’été.

Pour les Brexiters, enivrés par la perspective d’un Royaume-Uni qui retrouverait sa gloire perdue après s’être libéré de l’UE, l’occasion pour la « Global Britain » de rester indéfiniment une puissance nucléaire va tout simplement de soi. La proposition de poursuivre le remplacement total de Trident par quatre nouveaux sous-marins de catégorie Dreadnought a été approuvée à une très grande majorité en juillet dernier, et ils doivent avoir l’impression que le débat est désormais de l’histoire ancienne.

Il se pourrait qu’ils aient raison. Mais le dénouement du Brexit pourrait faire ré-émerger le sujet et être l’objet de sérieuses discussions. Et si c’est le cas, alors la sortie du Royaume-Uni de l’UE pourrait rendre le remplacement du Trident plus difficile à assurer.

Casser la tirelire

Les conséquences sont essentiellement financières. Malgré son optimisme jovial de façade, le gouvernement s’alarme tout naturellement de la direction que prennent l’économie et les finances publiques. Le récent virage à 180° sur la proposition du ministre des Finances d’augmenter les cotisations sociales des travailleurs indépendants a illustré l’inquiétude du gouvernement concernant l’érosion de l’assiette fiscale, mais aussi son manque de volonté à la combattre si la ligne dure des conservateurs et leurs alliés de la presse tabloïd s’y opposaient.

Il ne faut donc pas s’attendre à ce que le gouvernement soit indulgent envers le ministre de la Défense si les coûts du programme Dreadnought s’élevaient au-delà de l’estimation actuelle d’un capital de 31 milliards de livres et de coûts de fonctionnement annuels de 2,3 milliards. Etant donné les coûts de dépassement gargantuesques des trois dernières acquisitions navales du ministère de la Défense – les destroyers de Type 45, les sous-marins d’attaque Astute, et les deux nouveaux porte-avions – il faut une foi aveugle pour croire que les 10 milliards de livres contenus actuellement dans le fonds de prévoyance seront suffisants. Et avec la chute de la livre sterling face au dollar qui augmente les coûts des importations américaines – comme les chasseurs F35 qui décollent des porte-avions – le budget de la défense échappe rapidement à tout contrôle.

Tout cela pourrait aussi être diminué si la dispute grandissante à propos de l’indépendance écossaise rendait le maintien d’une base de force nucléaire sous-marine britannique dans le Clyde impossible. Des alternatives britanniques – probablement Plymouth – sont envisageables, mais les coûts de construction de nouvelles infrastructures – impossible de laisser traîner des missiles nucléaires dans un hangar – seraient colossaux.

Au total, les conséquences du Brexit pourraient facilement transformer le programme de remplacement du Trident en une épine dans le pied de la défense du pays, obligeant à la suppression ou au report de programmes moins ambitieux mais tout autant nécessaires pour les armées de terre et de l’air, sans compter la flotte de surface.

Pourtant, de façon ironique, à part le Brexit, tout ce qui s’est passé dans le monde dernièrement semble renforcer les arguments stratégiques en faveur du Trident. Depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, la sécurité de l’Europe s’est reposée sur la garantie nucléaire américaine – la volonté supposée du président américain de risquer la destruction de Chicago afin de protéger Berlin. « Supposée » est ici le mot-clé – ce qui compte à la fin c’est le calcul du risque mis en place par l’homme du Kremlin. Et si j’étais lui, je considèrerais l’idée du Président Trump risquant Chicago pour Berlin comme étant risible.

Un grand nombre d’Européens est évidemment arrivé aux mêmes conclusions – en témoigne le récent appel par l’éminence grise polonaise Jaroslaw Kaczinski à l’UE pour qu’elle fasse l’acquisition de son propre arsenal de dissuasion nucléaire et – de façon bien plus importante et étonnante – l’apparition d’idées similaires en Allemagne.

Ce qui est nouveau c’est que ce genre d’idées suscite l’intérêt public. Mais l’idée d’un arsenal de dissuasion nucléaire européen a été discutée, en coulisses, entre des « experts » pendant de nombreuses années (j’en ai moi-même parlé dans les années 1990). La façon évidence de le réaliser – ce qui est étudié dans le nouveau débat allemand – est bien connu. En bref, c’est l’extension explicite d’un parapluie nucléaire franco-britannique au-dessus de leurs voisins européens.

Les politiques, les aspects pratiques et la plausibilité d’un plan tel que celui-là sont évidemment hautement complexes. Ici, je voudrais faire deux observations :

  1. Une « dissuasion étendue » de ce type est discutée depuis longtemps, si ce n’est de façon sporadique/occasionnelle, entre Londres et Paris. Le spectre de ces discussions apparaît dans le préambule des traités de Lancaster House de 2010, précisant qu’ils « n’envisagent pas de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l’une des parties pourraient être menacés, sans que ceux de l’autre le soient aussi ». Les menaces aux « intérêts vitaux » sont celles qui pourraient déclencher une réponse nucléaire, donc c’est un code pour dire « nos intérêts vitaux sont désormais si entremêlés qu’il ne faut pas provoquer l’un de nous sans compter sur une réponse nucléaire commune ».
  2. Les gardiens de la flamme nucléaire britannique ont toujours voulu que l’arsenal de dissuasion nucléaire britannique soit vu non comme un nombrilisme national, mais comme quelque chose mis au service des alliés non dotés d’armes nucléaires – une importante contribution à la posture dissuasive globale de l’Ouest. Ce n’est pas par hasard que la dernière déclaration d’un sommet de l’OTAN – à Varsovie en 2016 – remarque que « Les forces nucléaires stratégiques indépendantes du Royaume‑Uni et de la France ont un rôle de dissuasion propre et contribuent à la sécurité globale de l'Alliance ». Les rédacteurs britanniques insèrent ce type de formules dans les documents de l’OTAN, ainsi que dans les Livres blancs nationaux, depuis des décennies.

A première vue, le fait qu’aucun Européen sain d’esprit ne ferait confiance à Donald Trump pour fournir le soutien en dernier recours pour leur sécurité est du pain béni pour les défenseurs du remplacement de Trident. Il y a enfin une vraie perspective pour que le Royaume-Uni justifie de rester une puissance nucléaire qui ne soit pas seulement à son usage personnel, avec des Européens reconnaissants nous pressant de le faire – et peut-être même prêts à contribuer aux coûts.

Tout cela serait bien, si ce n’est pour le Brexit. En effet, peu importe le nombre de fois où le gouvernement britannique répète que son engagement envers l’OTAN est à toute épreuve, ce qui semble importer désormais est la disposition supposée du Premier ministre britannique à tout risquer pour la défense de ses partenaires et alliés européens. Sauf que ces Européens seront bientôt d’anciens partenaires. Est-il plausible – dans les autres capitales européennes ou au Kremlin – que les Britanniques sentent leur « intérêts vitaux » liés au destin de ceux de l’autre côté du Tunnel alors qu’ils se sont déchirés pour sortir de l’Union européenne ?

Si ce n’est pas le cas, quand l’heure de vérité aura sonné, l’argumentation pour faire avancer le programme Dreadnought ne pourra s’appuyer que sur des affirmations fanfaronnes sur l’exceptionnalisme national et « Global Britain ». En effet, en termes de sécurité au sens strict et dur, on fera remarquer que les îles au nord de l’Atlantique ont la chance d’être situées géographiquement dans des environnements remarquablement sûrs – au point que l’Irlande se sent en sécurité avec peu de forces armées, et l’Islande sans force armée du tout.

Je sais, je sais, je dénigre mon propre pays, et je me dévoile comme étant fondamentalement antipatriotique. En réalité, je demeure instinctivement en faveur du maintien de l’arsenal de dissuasion nucléaire britannique. Mais je ne vois pas comment le Royaume-Uni se sortira du Brexit autrement que diminué sur la scène mondiale – et je ne suis pas convaincu qu’un instinct – non appuyé par la raison – sera suffisant pour que le programme Dreadnought survive aux tempêtes à venir. Ce vote de juillet dernier sur le remplacement du Trident pourrait bien relever, avec un peu de recul, d’un triomphalisme prématuré.

Nick Witney était directeur de la politique nucléaire au ministère britannique de la Défense dans les années 1990.

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