Le jeu de chaises musicales de l’Union européenne

L’Europe ne doit pas transiger sur ses principes dans les négociations avec Londres tout en parvenant à un nouvel accord avec le Royaume-Uni qui répondra aux intérêts des entreprises européennes.

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L’Europe doit se fonder sur ses forces plutôt que sur les rêves de quelques personnes. Elle ne doit pas transiger sur ses principes dans les négociations avec Londres tout en parvenant à un nouvel accord avec le Royaume-Uni qui répondra aux intérêts des entreprises européennes.

 

La politique et les marchés n’ont pas grand-chose en commun, mais il existe un trait qui est caractéristique des deux : les acteurs des marchés tentent d’anticiper et d’estimer l’évolution d’une situation aussi vite que possible et les acteurs politiques s’ajustent à cette nouvelle donne. A la vitesse de la lumière (comme l’aurait dit Javier Solana lorsqu’il était haut Représentant de l’Union européenne (UE)), l’expression des « E3 » a perdu totalement de son sens suite au Brexit. Avec la Grande-Bretagne désormais hors de l’UE, le groupe des trois poids lourds européens de la gestion des crises internationales n’existe plus.

Avant même que la plupart des observateurs ne s’en soient rendu compte, le processus politique s’était déjà ajusté. La chancelière Angela Merkel a rapidement rencontré le Président français François Hollande et le Premier ministre italien Matteo Renzi. Un nouveau trio est né avant même que la poussière soulevée par le Brexit soit retombée. Son objectif n’est pour le moment pas de s’attaquer aux crises internationales, mais d’abord de préserver l’union et de contenir les ambitions des uns et des autres. Sachant que Merkel devait faire de son mieux pour préserver l’intégrité de l’Union, Hollande et Renzi ont pu y voir une opportunité de pousser certaines de leurs revendications, telles que la remise en cause de la règle des 3%, sous couvert d’un grand plan de relance de l’Europe. Ils étaient donc tout aussi désireux de saisir cette opportunité que Merkel l’était de limiter leurs velléités.

Il semble que l’Allemagne deviendra encore plus puissante dans une UE sans Royaume-Uni anti-fédéraliste. Cela va naturellement accroître les objections à la domination allemande de la part des autres membres de l’UE. Le Brexit fait perdre un allié de taille dans la politique bruxelloise, à des gouvernements comme ceux des Pays-Bas, du Danemark ou de la Suède, sans parler du gouvernement polonais, issu du partie politique Droit et Justice. Par conséquent, leur frustration politique concernant l’UE et leur propre rôle dans ce processus pourrait aller croissant.

En retour, cela augmenterait le coût de transaction de la politique européenne de l’Allemagne, et rendrait la tâche plus dure pour Angela Merkel de tenir sa promesse au peuple allemand de conserver l’unité de l’UE et de maintenir l’Union sous son contrôle pragmatique. Tandis que l’intérêt allemand à contrôler la trajectoire d’intégration croît avec le Brexit, la chancelière ne peut pas se permettre de mettre en œuvre cet objectif de manière autoritaire. Un an après le discours d’accueil novateur de Merkel face aux réfugiés bloqués dans les Balkans, et un an avant les prochaines élections générales, la chancelière ne goûte que très peu les surprises. L’Europe doit se fonder sur ses forces plutôt que sur les rêves de quelques personnes. Elle ne doit pas transiger sur ses principes dans les négociations avec Londres tout en trouvant un nouvel accord avec le Royaume-Uni qui répondra aux intérêts des entreprises européennes.

Le sommet de Bratislava prend place dans ce contexte. Du point de vue de Berlin, les gouvernements européens doivent se recentrer sur la valeur ajoutée de la coopération, et sur le rôle de l’UE dans la résolution de problèmes, que ce soit sur la sécurité intérieure ou extérieure, sur les migrations, la reprise et la croissance économique. Bien qu’ils ne soient pas réfractaires aux références historiques et à la rhétorique solennelle, Merkel et son équipe ne veulent pas que l’Europe se lance dans un tourbillon de transformations et de refondations. Le mot d’ordre allemand pour l’année qui vient est d’appeler les dirigeants européens et les institutions à annoncer peu et faire beaucoup, au lieu de l’inverse comme c’est habituellement le cas.

La Chancelière a pressenti le risque que comportait une position trop exposée de l’Allemagne. Pour la première fois depuis des années, elle a activement cherché à consulter les gouvernements européens pour trouver d’éventuels partenaires, écouter leur lecture de la situation, explorer les points de convergence et anticiper leurs positons dans les futurs débats sur les politiques européennes et les négociations du Brexit. En l’espace d’une semaine, elle a rencontré 15 collègues du Conseil européen, et son choix n’avait rien d’accidentel.

Après avoir commencé par une rencontre du nouveau trio avec la France et l’Italie, Merkel visait surtout les « petits pays riches », qui sont liés par la convergence politique que créent les économies ouvertes, l’industrie moderne, un haut niveau de vie et une sécurité sociale. En cela, les pays Nordiques, le Benelux et l’Autriche partagent beaucoup de priorités avec l’Allemagne. Lors de sa semaine de consultation, Merkel a rencontré cinq des sept pays qui forment ce groupe.

 

La chancelière a aussi inclus une visite à Varsovie. Celle-ci lui a permis de démontrer une fois de plus que l’Allemagne désirait travailler étroitement avec la Pologne et perpétuer cette relation spéciale, à la condition que le gouvernement polonais se montre également prêt à s’engager. Dans le même temps, elle a fait en sorte d’organiser une autre visite à Prague, fief du gouvernement le moins eurosceptique du groupe de Visegrad, ainsi qu’un voyage dans la capitale estonienne, Tallinn, pour montrer en passant que l’Allemagne ne voit pas la Pologne comme le seul point d’entrée dans le bloc oriental de l’UE. Pour finir, Merkel a aussi rencontré tous les chefs de gouvernements du groupe Visegrad, ainsi que ses collègues de l’EUCO de Bulgarie, Croatie et de Slovénie.

Bien qu’un tel enchaînement ne devrait pas être surestimé, le fait est que les dynamiques politiques au sein de l’UE sont en train de changer, et que l’Allemagne cherche visiblement à explorer les alternatives qui se posent à sa position unipolaire. Angela Merkel semble avoir conclu que le degré de fragmentation politique dans l’UE avait besoin d’être réglé, dans la mesure où il ouvre la porte à des acteurs politiques très critiques envers l’UE au sein des Etats membres et qui exploitent les divisions au niveau communautaire. La Chancellerie va devoir mener les délibérations sur l’avenir de la majorité qualifiée votant au Conseil sans le Royaume-Uni, montrant que les problèmes vont devenir plus difficile pour les contributeurs au budget européen. Aussi, obtenir des majorités risque de devenir de plus en plus difficile avec le renforcement de groupes de veto tels que les pays du Videgrad.

Dans notre dernier Policy brief, Almut Möller et moi-même soutenions que l’Europe avant besoin de se recentrer sur son cœur politique et sur le renforcement de coalitions parmi les Etats membres. Pour diriger, l’Allemagne a besoin d’un groupe de partenaires ambitieux et qui acceptent l’intégration, engagés dans les affaires européennes à tous les niveaux. Ce groupe doit être suffisamment flexible par sa composition et son engagement pour être plus stable que les constellations ad-hoc souvent en place. Bien qu’il y ait toujours de la place pour des initiatives bi- ou trilatérales sur des sujets spécifiques – telles que le trio France, Allemagne et Italie pour la gestion de la crise, ou l’Allemagne et la Pologne pour la défense territoriale – un tel modèle dispersé transformerait la notion de leadership politique.

Au vu de ce qui vient d’être présenté au-dessus, cela apparaît comme une idée dont l’heure est venue.

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