Le coup fatal à l’Etat de droit en Pologne

Il semble qu'il y ait désormais bien peu qui se dresse sur le chemin du parti Droit et Justice (PiS) dans sa domination sur le système judiciaire.

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Il semble qu'il y ait désormais bien peu qui se dresse sur le chemin du parti Droit et Justice (PiS) dans sa domination sur le système judiciaire.

Très actif la semaine dernière, le Parlement polonais a voté une série de lois réduisant l’indépendance de la justice. Avec un Conseil constitutionnel neutralisé et un veto présidentiel peu probable sur ces nouvelles mesures, rien ne semble pouvoir faire obstacle à l’assujettissement du système judiciaire par le parti au pouvoir « Droit et justice ».

Cette offensive législative s’articule en trois temps. La première loi concerne le Conseil national de la Magistrature (CNM), dont la principale compétence consiste à nommer les juges. La nouvelle loi mettrait fin aux mandats de 15 des 25 membres du Conseil, qui étaient jusqu’à présent nommés par les cours judiciaires elles-mêmes. Leurs remplaçants seront dorénavant choisis par le Sejm (la chambre basse du Parlement), permettant au gouvernement d’exercer une influence considérable sur le Conseil et, par extension, sur l’ensemble du processus de nomination des juges.

La deuxième série de modifications concerne l’organisation des tribunaux ordinaires et la nomination des juges en chef. Ces changements augmenteraient considérablement le contrôle du ministre de la Justice sur ces nominations puisqu’ils assoupliraient les conditions nécessaires pour accéder à ces postes, introduiraient de nouvelles conditions pour le licenciement des juges en autorisant notamment le ministre à renvoyer n’importe quel juge en chef dans les 6 mois suivant le vote de la loi.

A cela s’ajoute une nouvelle proposition de loi concernant la Cour suprême. En quelques mots, tous ses juges seraient mis à la retraite, sauf ceux explicitement choisis par le Ministre de la Justice. Le ministre nommerait alors un un président de la Cour suprême, ainsi que des remplaçants temporaires pour les juges à la retraite.
Les futurs remplaçants permanents seraient eux-aussi nommés par le ministre et présentés au CNM pour confirmation.

Considérés ensemble, ces changements permettraient au parti au pouvoir de placer à la Cour suprême ses propres pions, de remplacer librement les juges en chef de n’importe quelle cour du pays, et d’avoir le contrôle sur toutes les nominations relatives à la justice au moins pour les quatre prochaines années.

La justification avancée pour ces lois est la nécessité de combattre la corruption dans le système judiciaire, de moderniser le fonctionnement des cours, et de restaurer la confiance de la population dans l’appareil judiciaire. Ce n’est pas complètement sans fondement : dans un sondage du mois de janvier, 49% des sondés avaient une opinion négative du système judiciaire, contre seulement 28% d’opinions positives. Toutefois, ces changements font bien plus que répondre à ces problèmes, et supprimeraient un important contre-pouvoir au gouvernement.

Depuis la neutralisation de facto du Conseil constitutionnel, la Présidente de la Cour Suprême Malgorzata Gersdorf a pris la tête de la contestation en appelant toutes les cours à jouer un rôle plus actif dans la défense de l’Etat de droit. La Cour Suprême a notamment rompu avec sa doctrine en commençant à statuer directement sur la base de la Constitution plutôt que de s’adresser au Conseil constitutionnel pour examen de ce type de dossiers, une méthode qui a gagné du terrain dans les tribunaux inférieurs aussi.

La Cour Suprême devrait aussi passer une loi sur la légalité de la sélection par le gouvernement du nouveau président su Conseil constitutionnel.
Mais les purges rendues possibles par ces nouvelles lois pourraient étouffer ses tentatives de défense de l’Etat de droit. De plus, le renforcement du contrôle des nominations des juges par le ministre de la Justice et le Sjem forcerait tous les juges à bien réfléchir avant de prendre une décision qui serait défavorable au gouvernement.

Enfin, la Cour Suprême doit décider de la validité des élections parlementaires ainsi que des élections présidentielles comme des référendums. Ces modifications mettraient donc en question l’intégrité des élections à venir.

La question de la rapidité et la procédure utilisée pour faire passer ces lois est à soulever. L’idée de lois changeant le fonctionnement du CNM ainsi que l’organisation générale de certaines cours a été émise plus tôt cette année et abandonnée le 7 juin dernier, peu après l’annonce de la venue de Donald Trump à Varsovie. Elles ont été débattues été débattue à nouveau au Sjem le 12 juillet sans que le débat ait été annoncé, votées le même jour et approuvées par le Sénat deux jours après.

Ces deux projets ont été présentés comme émanant du Parlement, permettant ainsi la simplification de la procédure législative, c’est-à-dire l’adoption d’une procédure accélérée ne nécessitant pas d’attendre l’avis du bureau juridique du Sénat et pouvant être votée au cours de la nuit même.
De la même manière, la nouvelle loi proposée sur la Cour suprême a été présentée le 12 juillet en tant qu’initiative parlementaire, et bien qu’elle n’ait pas encore été votée, elle peut l’être de façon précipitée selon le même modèle.

Ces mesures ont provoqué de nombreuses protestations dans les grandes villes, la plus grande manifestation ayant eu lieu à Varsovie le 16 juillet. Jaroslaw Kurski du quotidien libéral Gazeta Wyborcza affirme que ces modifications détruisent l’indépendance judiciaire et l’Etat de droit, et permettent l’émergence d’un nouveau pouvoir autoritaire. Le rédacteur en chef du quotidien de centre-droit Rzeczpospolita a aussi critiqué ces propositions, en déclarant qu’elles pourraient servir de justificationà de la désobéissance civile. Quelques éditorialistes proches du gouvernement ont aussi exprimé leurs réserves, notamment Piotr Zaremba qui considère que ces mesures « vont trop loin ».

Néanmoins, le parti « Droit et justice » au pouvoir reste uni autour de ces propositions de loi et l’opposition n’a que peu de marge de manœuvre pour les bloquer. La possibilité d’un veto présidentiel ou d’une décision du Conseil constitutionnel à l’encontre du parti semble peu probable puisque ces institutions sont déjà dans les mains de personnalités qui lui sont fidèles. Si les manifestations massives sont parvenues à repousser la tentative d’instaurer une interdiction totale de l’avortement, il semble improbable qu’elles puissent bloquer une mesure si essentielle à la stratégie politique du parti au pouvoir.

Le pire aspect de ces changements du système judiciaire est qu’il sera sans doute très difficile de revenir en arrière. Les tentatives de restauration du statu quo ante mettraient les défenseurs de l’Etat de droit dans une impasse : soit laisser les élus politiques en place et risquer l’obstruction, soit répéter ostensiblement ce que Droit et Justice a fait et retirer ces lois. Il est donc impératif d’arrêter cette loi avant que le mal soit fait. Malheureusement, la manière dont l’opposition et la société civile en Pologne peuvent agir, et la façon dont l’Union européenne peut aider, est une question à la réponse toute trouvée sont des questions auxquelles il faudra encore trouver une réponse.

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