Le choix de la Pologne : le jour d’après.

L'un des principaux risques est que Droit et Justice soit victime de son propre succès.

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Nous sommes à un moment sans précédent dans les 25 années de la démocratie polonaise. Le parti national-conservateur Droit et Justice a remporté une victoire écrasante aux élections législatives de dimanche. Cela donne au parti une majorité absolue et ouvre la voie à son régime de parti unique pour les quatre années à venir. Le parti, qui est maintenant dans une position dominante, a affirmé au cours des dernières années avoir le droit exclusif de représentation des intérêts de la « vraie » Pologne. Il a accusé les gouvernements libéraux de trahir les intérêts polonais et a soutenu que son succès électoral serait également un succès pour la Pologne – en l’aidant à retrouver sa souveraineté et son indépendance nationale. Le manque de respect profondément antidémocratique qui émerge du parti Droit et Justice envers ses opposants politiques (le gouvernement) a alimenté une polarisation extrême de la politique et du discours politique polonais qui n’a été que trop évidente au cours des dernières années. Cette évolution de la politique polonaise a sapé la confiance des institutions publiques, et joué un rôle important dans l’orientation majeure de l’opinion publique vers la droite.

Dimanche, une somme combinée de près de 55% de Polonais (le taux de participation pour l’élection était tout juste de 51 %) a voté pour des partis d’extrême droite. Le parti national-conservateur (Droit et Justice – 39%), le populiste de droite (Kukiz’15 – 9%) et l’extrême droite (KORWIN – 4,9%). Aucun parti social-démocrate n’est entré au Parlement. La Plate-forme civique, au pouvoir, a reçu seulement 23% des votes, payant un prix amer non seulement pour sa défaite à la bataille cruciale des symboles et des discours, mais également pour ses propres erreurs ; parmi elles, la compromission des scandales de conversations enregistrées des dirigeants politiques, l’auto-admiration, l’omission de réponses à la hausse des aspirations de la société, et enfin l’arrogance du parti envers les électeurs.

Tel est le contexte de l’élection, qui, malgré ce résultat limpide, soulève plus de questions que de réponses concernant certains des problèmes les plus fondamentaux de la Pologne. Le slogan de Droit et Justice : « pour un meilleur changement » a clairement trouvé un écho chez nombre d’électeurs. En 2015, le désir de changement au sein de la société polonaise est au plus haut depuis 1989, comme certains sondages d’opinion le suggèrent. Cela peut sembler surprenant compte tenu du dynamisme de l’économie polonaise et des bilans jusqu’ici positifs de la transformation du pays. Mais cette élection marque la fin de 25 ans de transformation politique, sociale et économique qui, bien qu’elle ait produit des gagnants, a également produit des perdants du système. Il y a toujours ceux qui croient véritablement au mantra du mythe fondateur de cette transformation : que « rattraper l’Occident » est le but ultime, la mesure de la réussite, mais une fois que les Polonais, en particulier la jeune génération, ont réalisé qu’atteindre cet objectif ne serait pas à portée de main dans un futur proche (en termes purement matériels), la colère et la frustration les ont saisi. La propagande dévastatrice de Droit et Justice, qui décrit la Pologne comme un « pays ruiné », a servi à construire habilement sur le ressentiment émergeant de cette prise de conscience naissante, et à le renforcer.

A quel type de changement la Pologne aspire-t-elle ? Quel changement Droit et Justice a-t-il promis de délivrer ? Et dans quelle mesure les deux sont-ils alignés ? C’est là que les vraies questions sur les effets de l’élection de dimanche commencent à se poser. Les gens voulaient un changement de génération dans la vie politique. Ils voulaient rompre avec l’antagonisme des deux grands partis – Droit et Justice et la Plate-forme civique. Cela explique le succès de certains nouveaux venus tels que le populiste Kukiz’15 et le parti libéral appelé Le Moderne. Mais les gens voulaient également plus de sécurité sociale et de justice, de meilleures institutions d’Etat, des emplois mieux payés et plus stables. Le fait que tant de gens aient voté pour des partis représentant des opinions nationalistes-conservatrices, xénophobes et d’extrême droite pourrait suggérer que, partant d’un sentiment général d’insécurité (prenant source dans la crise du capitalisme, des réfugiés, de la mondialisation et de l’individualisation), beaucoup étaient vivement intéressés par les partis faisant la promotion des traditions et sentiments polonais dominants, ce qui souligne l’importance des valeurs de communauté, définies dans des termes nationalistes, étroits.

Le but ultime de Droit et Justice est de changer la constitution, mais avec la majorité actuelle, cela ne sera pas possible. Même avec le soutien du parti Kukiz’15, le gouvernement n’aura pas la majorité nécessaire des deux-tiers pour faire de cela une réalité. De façon intéressante, peu avant l’élection, Droit et Justice a retiré de son site web son projet de constitution « Orbanesque » longuement débattu (qui limiterait le pouvoir d’institutions telles que la Cour constitutionnelle et augmenterait le pouvoir de la majorité exécutive et parlementaire) et affirma que tout document officiel exposant la vision du parti pour un nouveau système politique était inexistant. Le parti est-il vraiment en train de se détourner de ses racines antilibérales ? Respectera-t-il les règles de la démocratie libérale en n’usant pas de sa légitimité majoritaire pour sévir contre des institutions qui ne correspondent pas à sa vision du monde ? Ceux qui se souviennent de la loi de 2005-2007 de Droit et Justice ne sont pas sujets à beaucoup d’optimisme et donnent peu de crédit à la déclaration de Jaroslaw Kaczynski comme quoi il n’y aura pas de vengeance contre ceux qui « sont tombés » (c’est-à-dire qui ont été vaincus). Kaczynski a également appelé les autres partis à construire une alliance rouge-blanche (les couleurs du drapeau nationale polonais) de grande envergure afin de changer la Pologne pour le mieux – une invitation dirigée vers les petits partis de l’opposition (Kukiz’15 et le Parti paysan) mais, en même temps, une autre tentative de tracer une ligne entre ceux qui sont « patriotiques » (blanc-rouge) et ceux qui ne font pas partie de la communauté. Ce sont cette division et polarisation idéologiques qui ont été les plus destructrices pour la démocratie polonaise au cours des dernières années. Le défi principal pour Droit et Justice sera de surmonter sa propre tentation de perpétuer et d’approfondir les divisions au sein de la société, ainsi que d’introduire une culture de dialogue démocratique qu’il a clairement violé jusqu’ici.

L’un des principaux risques est que Droit et Justice soit tôt ou tard victime de son propre succès. La revendication du parti que les Polonais « méritent mieux », également en termes économiques, pourrait devenir son épée de Damoclès. A présent, détenant la majorité au Parlement, le parti n’aura aucune excuse pour ne pas tenir ses promesses et résister aux énormes attentes qu’il a suscitées au sein de la société. Droit et Justice veut diminuer les impôts, introduire une prestation pour enfants mensuelle de 120€ par enfant (les trois quart du Kindergeld allemand), retirer la réforme des retraites novatrice en introduisant un âge de retraite de 67 ans, et assouplir la politique monétaire afin de stimuler l’économie. Les économistes prédisent que ce programme va mener à une croissance économique plus forte (jusqu’à 5% en 2017) mais conduire ensuite à une crise profonde des finances de l’Etat. Il existe une petite possibilité de combler l’énorme fossé que cette politique creusera (50-70 milliard de zlotys par an), en améliorant la collecte de la TVA et d’autres taxes, selon les plans du parti. Si la Pologne entretien un déficit budgétaire élevé, la crédibilité du pays sur les marchés financiers souffrira, augmentant les couts du financement public. Dans de telles circonstances, la Commission européenne pourrait même intervenir afin de freiner les dépenses et menacer de réduire les fonds structurels.

Après cette élection, la tension accrue avec Bruxelles et les partenaires de l’Union européenne (UE) semble inévitable, parce que le parti au pouvoir sera obligé de compromettre son programme de politique intérieure à cause de l’agenda européen. Afin de garder la tête hors de l’eau et de conserver le soutien public, le parti Droit et Justice devra s’assurer que peu de réfugiés (voire aucun) trouvent refuge en Pologne.  Les menaces de l’islamisation, les maladies que les réfugiés pourraient apporter dans le pays, et un diktat de Berlin imminent ont été les principaux ingrédients de la propagande anti-réfugiés du parti, et qui a façonné le discours public du pays. Et la promesse du parti d’utiliser le charbon comme source d’énergie principale pour les décennies à venir, et d’utiliser l’argent public pour financer les mines de charbon économiquement non viables contredit clairement la politique énergétique et climatique de l’UE (dont Droit et justice aimerait se désengager), mettant Varsovie sur une trajectoire de collision avec Bruxelles.

La conception de la démocratie par Droit et Justice a toujours insisté sur les droit de la majorité d’imposer sa volonté, et la nécessité pour le gouvernement d’être en mesure d’entreprendre des actions décisives. C’est pour cela que toute la puissance du parti découle à la fois de son énorme succès et représente un énorme fardeau de responsabilité. Dans les quatre prochaines années, Droit et Justice fera voyager le pays, dans une direction paradoxalement incertaine au vu de sa victoire écrasante. Nous devons espérer que le langage conciliant utilisé par les chefs du parti le soir de l’élection signifie que, même si le changement de gouvernement n’est pas pour le mieux, il ne sera pas si mauvais. 

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