La situation des réfugiés pousse à nouveau l’Allemagne à prendre la tête de l’Union européenne

Ce qui fait obstacle à un rôle allemand plus important dans la création d’une réponse européenne est l’effet de l’inter-gouvernementalisme et le manque d’idées fortes, ayant le pouvoir de bâtir un consensus clé autour d’elles.

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La situation des réfugiés poussent à nouveau l’Allemagne à prendre la tête de l’Union européenne

 

Du point de vue du rôle de l’Allemagne en Europe, 2015 est en passe de devenir une année remarquable. Cela a commencé avec le rôle dominant joué, au sein de l’Union européenne, par la chancelière Angela Merkel dans le conflit avec la Russie concernant la guerre en Ukraine, et cela a continué durant les épuisantes négociations sur un troisième prêt pour la Grèce. A présent, avec l’aggravation de la crise des réfugiés cet été, l’Allemagne se tient à nouveau au centre d’un défi majeur pour la cohésion de l’Union européenne (UE) et sa capacité à agir.

Cette fois, l’attention que la politique allemande reçoit en Europe n’est pas basée sur la politique étrangère de Berlin ou son pouvoir fiscal mais plutôt sur l’attractivité de l’Allemagne. Le pays est devenu la destination principale pour les migrants de l’UE et des pays voisins, ainsi que pour les demandeurs d’asile de régions en guerre et en crise. Les estimations actuelles du ministère Fédéral de l’Intérieur prévoient environ 800 000  demandeurs  d’asile en Allemagne en 2015. Pendant que l’Italie, la Grèce et la Hongrie supportent la plus grande partie des nouvelles arrivées, l’Allemagne, l’Autriche et la Suède voient le plus grand afflux de réfugiés,  l’Allemagne étant loin devant en termes de chiffres absolus. Quand, au printemps 2015, le gouvernement italien poussait pour des changements dans l’approche européenne en matière d’immigration, l’Allemagne le soutenait mais sans plus. A présent, le problème de la gestion du nombre de réfugiés, qui augmente rapidement, est devenu un défi pour l’Allemagne.

Cependant, l’importance qu’accorde l’Allemagne à cette question ne dérive pas principalement des chiffres de l’immigration. Au contraire, elle est basée sur la détermination évidente du gouvernement et de la société d’accepter à nouveau un nombre inhabituel de demandeurs d’asile,  ce qui rappelle son attitude face aux réfugiés cherchant la protection de l’Allemagne lors des guerres de Yougoslavie dans les années 1990. Cette position ne sera certainement pas maintenue si les chiffres restent aussi élevés plusieurs années de suite, mais pour le moment l’attitude allemande semble assez remarquable, dans un contexte politique européen de plus en plus influencé par un populisme critique de l’UE. La volonté de faciliter le processus, notamment pour les réfugiés syriens, à la lumière des manifestations locales anti-demandeurs d’asile  et de la violence d’extrême droite a été reconnue à l’échelle internationale. Will Hutton d’Oxford l’a bien prouvé en mentionnant cela dans the Guardian. A l’inverse d’autres Etats membres cherchant à restreindre le régime de mobilité de Schengen, la chancelière Angela Merkel et son gouvernement de coalition ont défendu l’ouverture des frontières internes et ont à répétition appelé les autres capitales à coopérer de manière plus approfondie sur les problèmes d’immigration et d’asile.

Toutefois, ce qui fait obstacle à un rôle allemand plus important dans la création d’une réponse européenne est l’effet de l’inter-gouvernementalisme et le manque d’idées fortes, ayant le pouvoir de bâtir un consensus clé autour d’elles. Déjà en avril, mon collègue Olaf Böhnke avait vu une opportunité claire pour l’Allemagne de conduire le développement d’une politique européenne commune sur l’asile et l’immigration. En réalité cependant, trop peu a changé. Berlin a cédé face aux Etats membres souhaitant la mise en place de contingents volontaires pour la redistribution des réfugiés, là où elle aurait dû insister sur la proposition de la Commission de mettre en place un système de quotas. Auparavant, l’Allemagne était à l’origine du triplement des fonds pour la mission Triton, et  supporte à présent l’idée de centres d’accueil gérés par l’UE afin d’aider les Etats membres dans l’enregistrement et le traitement initial des nouvelles arrivées, lorsqu’elle devrait réfléchir davantage à un régime de frontières communes et à la mise en place d’une force de mise en œuvre pour l’espace Schengen. L’Allemagne préconise un accord sur une liste de « pays d’origine sûrs »  afin de faciliter l’administration des demandes d’asile, mais est contrainte par la condition d’unanimité au sein de l’UE sur ce sujet. Comme tout autre Etat membre, l’Allemagne doit améliorer sa politique d’asile. Les migrants motivés par des raisons économiques doivent être mis à l’écart de ce processus. Afin de faciliter cela, le pays a besoin d’une législation sur l’immigration reflétant les caractéristiques migratoires actuelles, ainsi que les demandes nationales d’emploi.

A la lumière des divisions actuelles entre les Etats membres, Angela Merkel a décrit l’espace Schengen comme étant une zone de « coopération renforcée », ce qui  est assez ironique au vu des heurts politiques actuels et du fait que des pays comme le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark ont simplement choisi de ne pas y adhérer. Renforcer Schengen nécessiterait en effet que la politique européenne de l’Allemagne insiste sur la mise en œuvre d’une politique commune sur l’immigration et l’asile, d’une répartition égale des réfugiés entre les Etats membres , d’outils communs  accompagné d’un financement collectif afin de garder et de sécuriser les frontières de l’Europe, mais également de gérer avec efficacité et de manière humaine les migrants. Berlin aurait à construire un groupe de pression composé d’Etats membres afin de surmonter les impasses actuelles. Les avertissements de Thomas de Maizière, le ministre de l’Intérieur, ne suffiront pas : « sur le long terme, il ne peut y avoir de Schengen sans Dublin […] en l’absence d’une véritable politique d’asile européenne, les frontières sans postes de contrôle ne pourront être viables sur le long terme. ». En d’autres mots, l’espace Schengen tombera en ruines s’il n’est pas renforcé. C’est un défi pour Berlin.  Les progrès dans ce domaine seront surement à l’importance des ressources mises à disposition par l’Allemagne et ses partenaires dans le cadre d’une politique commune.

Mais ce sujet comprend également une dimension de politique étrangère qui n’a, jusqu’à présent, pas été traitée adéquatement par les décideurs berlinois. Evidemment, les combats qui se poursuivent en Syrie et en Iraq, les camps de réfugiés surchargés dans les pays voisins, ainsi que le manque de perspective de coexistence des différents groupes ethniques ou religieux dans un Moyen-Orient semblant se désintégrer conduit les flots de réfugiés vers l’Europe. L’Europe doit donc faire plus afin d’influencer la situation. Bien qu’elle ne puisse mettre fin aux combats, l’Europe doit fournir une protection plus rapide, plus optimale et plus exhaustive aux personnes tentant d’échapper à la guerre, en travaillant intensément avec les pays dans la région portant la majorité du fardeau des réfugiés. Cela devrait devenir une priorité pour la politique étrangère allemande et européenne. Berlin devrait en faire une question clé dans le processus de révision, soutenue par sa propre capacité à construire ensemble avec les Etats partageant des idées similaires. En principe, le besoin de meilleures capabilités a été reconnu dans le processus de révision lancé en 2014 par le ministre des Affaires Etrangères Frank-Walter Steinmeier. La mise en œuvre d’une telle politique nécessiterait une coopération renforcée entre le ministère des Affaires Etrangères ainsi que ceux de l’Intérieur et de la Défense. Et une telle politique est urgente car son absence affaibli la position de l’Allemagne et la réponse de l’Europe.

 

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