La politique étrangère française: activisme ou leadership?

Le France se montre très active en matière de politique étrangère : les années 2013 et 2014 ont été marquées par l'intervention au Mali, le soutien à des frappes militaires en Syrie,ou encore l'intervention en Centrafrique. Cependant, l'activisme français n'est pas encore synonyme de leadership européen.

La France s’est engagée dans une politique étrangère remarquable ces douze derniers mois. Il y a un an, elle a réagi rapidement en envoyant 3000 soldats au Mali afin d’empêcher que ce pays tombe aux mains des islamistes ; en août, elle a offert son soutien à des frappes militaires américaines en Syrie après qu’il ait été confirmé que Bachar El-Assad avait utilisé des armes chimiques ; le même mois, elle a insisté avec succès pour plus de concessions de la part de l’Iran dans le deuxième round de négociations des E3+3 à Genève ; enfin, en décembre, elle a envoyé 1600 soldats de plus en République Centrafricaine. Selon le bulletin de notes de la politique étrangère européenne, publié la semaine dernière par le Conseil Européen des Relations Internationales (ECFR), en 2013, la France s’est distinguée par sa position de  « leader » plus fréquemment que tous les autres Etats membres de l’UE. (J’ai contribué au projet en tant que membre du comité directeur.)

La France semble être un des rares Etats membres de l’Union européenne qui ait encore des ambitions en politique étrangère. Sur fond de crise économique, beaucoup d’autres Européens semblent se renfermer davantage sur eux-mêmes et abandonner ainsi l’idée de contribuer à façonner le monde du 21è siècle. Si tant est qu’ils aient une politique étrangère, celle-ci est basée sur des objectifs économiques – le marché des exportations et l’investissement interne, notamment. Le danger est qu’il ne reste plus grand chose de l’aspiration européenne à être une « puissance normative ». La France, cependant, a encore des ressources, et (fait remarquable, étant donné ses problèmes économiques propres) est préparée à les utiliser de manière courageuse. Dans un édito du mois de décembre, le Financial Times a même fait l’éloge d’un élan accru de la France en politique étrangère par rapport au Royaume-Uni.

Il y a cependant quelque chose de frustrant dans le rôle actuel de la France dans la politique étrangère européenne : elle est un leader qui souvent ne trouve pas de suiveurs. Bien qu’elle agisse souvent dans l’intérêt européen (par exemple au Sahel), et soit encline à coopérer avec ses partenaires européens lorsqu’ils sont d’accord avec sa politique, elle est également prête à agir en dehors du cadre de l’UE lorsqu’elle pense que cela est nécessaire. Son audace peut parfois se révéler risquée. Par exemple, elle a parié gros en retardant un accord au deuxième round de négociations à Genève par son insistance que l’Iran suspende les travaux du réacteur à plutonium d’Arak. Ce pari a été gagnant et il a permis d’aboutir à un meilleur accord, mais il aurait pu prendre une mauvaise tournure, d’autant plus que beaucoup d’autres acteurs en Iran, en Israël ou aux Etats-Unis veulent faire échouer les négociations.

Comment l’activisme français peut-il alors se transformer en un leadership européen ? Une grande partie de la réponse à cette question dépend des ajustements que feront les autres Etats membres ; la nouvelle volonté allemande d’assumer un rôle international plus actif, bien apparente au Forum de Munich sur les politiques de défense, est ainsi la bienvenue. Mais la France doit aussi être prête à ajuster ses propres politiques afin de pouvoir construire un consensus européen ; un exemple est le cas syrien, où rares étaient les autres Etats membres qui partageaient l’empressement français à armer les rebelles. Si la France souhaite sincèrement que d’autres Européens contribuent avec leurs ressources à ses initiatives, il est important qu’elle entreprenne un travail difficile de persuasion auprès des autres Etats membres et qu’elle fasse valoir qu’il est dans leur intérêt autant que dans le sien de les soutenir. Prendre l’initiative et déployer des ressources (en particulier des ressources militaires, lorsqu’elles sont nécessaires) est important, mais ne suffit pas pour se positionner en véritable « leader ».

Les limites de l’approche française ont été mises en exergue en décembre, quand l’appel du Président François Hollande pour que l’UE crée un fonds permanent pour financer les opérations militaires des Etats membres a rencontré un accueil tiède : cette excellente idée requiert encore beaucoup de travail diplomatique pour devenir une réalité. Les décideurs de la politique étrangère française sont frustrés, et cela est compréhensible, que leurs partenaires européens n’aient pas donné un plus grand soutien aux deux interventions militaires l’année dernière, alors même que ceux-ci reconnaissent qu’elles étaient dans l’intérêt européen. Mais, comme en témoignait un haut fonctionnaire européen au Financial Times, on ne peut pas s’attendre à ce que l’Europe paie pour une intervention décidée de manière unilatérale par un Etat membre. « Ce n’est pas si simple » confie ce haut fonctionnaire. En d’autres termes, si la France se cantonne à l’activisme, elle devra le financer.

La France ne doit pas abandonner sa politique étrangère activiste. Alors que la tendance est au repli sur soi, l’Europe a besoin d’un grand Etat membre tel que la France, préparé à prendre l’initiative et à consacrer des ressources à une politique étrangère ambitieuse qui promeut ses valeurs et ses intérêts. Mais pour que d’autres en Europe la suivent – en d’autres termes, pour qu’elle devienne un véritable leader – la France doit travailler main dans la main avec les autres Etats. Ce n’est qu’à travers le processus difficile de coopération avec les autres Etats membres et les institutions de l’UE qu’il peut y avoir un véritable engagement européen avec le monde. In fine, étant donné les ressources limitées et en diminution de la France, un tel engagement sera aussi bien dans l’intérêt de la France que dans celui de l’Europe.

 
Jean-Marie Guéhenno, professeur à Columbia University, membre du Conseil européen des relations internationales (ECFR), ancien président de la Commission du Livre Blanc sur la Sécurité Nationale et la Défense

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