La chute du yuan : le facteur sonne deux fois

François Godement nous parle de la dévaluation de la monnaie chinoise et les raisons sous-jacentes à celle-ci.

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Mardi, la banque centrale chinoise a fait ce que tous les partisans de l’internationalisation du renminbi demandaient depuis un certain temps déjà. Elle a brusquement élargi la marge de fluctuation quotidienne de la monnaie en abaissant la fixation quotidienne de 1,9% par rapport à la clôture précédente. Sachant que la fluctuation quotidienne admise était de 2% dans les deux sens depuis 2014, cette opération a, de fait, permis un mouvement de 3,9% en l’espace d’une journée.

Jusqu'ici, tout va bien. L’une des conditions fondamentales pour que le renminbi devienne une valeur de réserve du FMI est qu’il augmente sa flexibilité, passant ainsi d’une parité glissante à un taux de change flottant.

Le problème ici est que le renminbi a connu un mouvement descendant, et non ascendant, et que celui-ci était entouré de contradictions.

La Chine a trouvé le moyen de répondre aux demandes externes de plus grande flexibilité du renminbi, tout en parvenant, dans les faits, à augmenter sa compétitivité commerciale. Mais l’un des faits les plus marquants est que, alors que la banque centrale chinoise annonçait mardi que cette correction à la baisse était une opération ponctuelle – pour apaiser les craintes d’une dévaluation compétitive – elle a répété la même opération mercredi, en abaissant, cette fois-ci, la fixation journalière de 1,6% par rapport à la veille. Ces deux épisodes de dévaluation (du 11 et 12 août) correspondent aux deux plus importantes baisses du taux de change chinois depuis que Pékin a abandonné ses politiques de dévaluation en 2005.

Si cette intervention « ponctuelle » se répète, et ce seulement à un jour d’intervalle, il ne s’agit donc plus d’essayer de surprendre les marchés mais bien de tenter de contrer la tendance dominante sur ceux-ci.

Mardi, la plupart des « optimistes » concernant la Chine faisaient remarquer que le plus important était que la Chine augmente effectivement ses marges de fluctuation – afin de prévenir, peut-être, toute spéculation sur une possible dévaluation du renminbi. Bien sûr, une réévaluation du taux de change chinois est depuis bien longtemps attendue ; mais le choix de la dévaluation a surpris. Les partenaires et les concurrents de la Chine pourraient finir par regretter la pression exercée sur la Chine pour qu’elle accepte une plus grande flexibilité de sa monnaie, surtout s’ils avaient su que celle-ci se traduirait  par un renminbi plus faible, et non plus fort. Toutefois, les tendances économiques récentes ayant cours en Chine – une croissance plus faible, une chute du marché boursier et une contraction récente et soudaine des exportations – ont renforcé la probabilité de voir le renminbi baisser. La machine exportatrice chinoise a, en effet, besoin d’être stimulée pour que la Chine puisse renouer avec la croissance économique.

La banque centrale chinoise est-elle, intelligemment, en train de prendre une longueur d’avance sur les spéculateurs ? Ou a-t-elle abaissé la valeur du renminbi pour des raisons purement mercantilistes ?Dès mercredi, la réponse à cette question était claire. Malgré l’annonce faite le jour précédent, le taux du renminbi sur le marché des changes n’a pas dépassé la diminution du correctif de la valeur de la monnaie, bien que les marchés de change étrangers aient enregistré une baisse de leurs côtes. Cela signifie que les traders sur les marchés de change – des spéculateurs potentiels en d’autres termes – n’avaient, en réalité, pas utilisé la nouvelle marge dans son entièreté pour obtenir un taux de change plus bas. En modifiant une nouvelle fois cette marge mercredi, la banque centrale chinoise nous a montré que sa politique n’est pas juste un moyen de prévenir la spéculation.

Il semble plus probable que les autorités financières chinoises aient décidé  de changer une nouvelle fois le taux de fixation du renminbi car elles étaient frustrées de voir que le marché n’avait pas réellement mordu à l’hameçon en poussant la monnaie fortement à la baisse. La dévaluation forcée du renminbi a probablement été pour les autorités chinoises une manière de faire une déclaration politique à la communauté internationale, et non pas juste une occasion d’apparaitre comme imprévisible et de mettre en garde les spéculateurs.

Que cette politique apparaisse comme étant une réponse aux demandes pour plus de flexibilité – un mantra du FMI et un prérequis pour pouvoir internationaliser le yuan – importe moins que le retour évident à une politique mercantiliste.D’autres initiatives ont préfiguré ce retour, comme, par exemple, l’augmentation des subventions à l’exportation dans plusieurs secteurs. Peu de gens ont remarqué que les énormes déboursements prévus dans le cadre des projets internationaux Silk Road et One Belt, One Road sont en fait une manière de liquider une partie des réserves de monnaie gigantesques dont dispose la Chine – et, par ce biais, de maintenir la monnaie à un taux bas et de faire tourner le moteur de l’exportation chinoise à plein régime. Les Chinois ont la possibilité d’ouvrir et de refermer le robinet à leur bon plaisir. Cela a l’avantage, en comparaison avec la pratique de la « stérilisation monétaire » telle que la pratiquait la Chine par le passé, de ne pas entraîner immédiatement un déluge de création de renminbi, et les bulles spéculatives que cela implique.

Globalement, deux conclusions s’imposent. Premièrement, la Chine sait talentueusement enrober sa politique monétaire d’un langage acceptable pour la communauté internationale – décrire une opération de dévaluation comme une augmentation de la flexibilité de la monnaie est intelligent. Deuxièmement, cela ne signifie pas que le marché pourra dicter les taux de change ou quelque chose de similaire, mais montre à l’inverse que la Chine conçoit sa monnaie comme un outil macro-économique lui permettant de maximiser sa compétitivité ou de contrer un ralentissement économique.

A cet égard, aucun changement n’est à attendre dans le cas de figure où le yuan deviendrait la monnaie prédominante sur le marché mondial. La norme restera, comme pour le dollar : « notre monnaie (chinoise), votre problème ».

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