Emmanuel Macron en visite à Alger

Il est probable que le président français profite de sa visite à Alger le 6 décembre pour prononcer un discours important sur l’héritage colonial français en Algérie.

Il est probable que le président français profite de sa visite à Alger le 6 décembre pour prononcer un discours important sur l’héritage colonial français en Algérie. Mais si l’histoire continue à marquer la relation franco-algérienne, l’enjeu de cette rencontre est avant tout de construire le futur.

Tandis que l’amélioration des relations sous la présidence de François Hollande avait permis une meilleure coopération entre la France et l’Algérie dans les domaines politique, économique et sécuritaire, les résultats étaient toutefois restés décevants. Et la tendance n’est pas prête de se renverser alors que la santé du président algérien Abdelaziz Bouteflika ne cesse de se dégrader et que l’avenir politique de l’Algérie reste incertain.

Emmanuel Macron se servira de ce voyage pour tenter de définir un agenda positif pour les cinq prochaines années, en cherchant une plus grande convergence stratégique entre Paris et Alger. De par son armée puissante et son expérience en matière de lutte contre le terrorisme, l’Algérie continue à être un acteur clé de la sécurité régionale, et pourrait devenir un partenaire essentiel pour la France et l’Union européenne (UE), en particulier au Sahel. L’Algérie est aussi un fournisseur important d’énergie pour le sud de l’Europe, y compris pour la France, et un marché considérable pour les exportations françaises, mais aussi italiennes, espagnoles et allemandes. D’un autre côté, la stagnation économique et politique du pays, combinée à la chute du prix du pétrole, pourraient conduire à une instabilité accrue et générer des flux migratoires vers l’Europe plus importants si des solutions ne sont pas apportées.

Un départ difficile pour les relations franco-algériennes sous Macron

En 2012, la visite de François Hollande à Alger avait signé l’ouverture d’un nouveau chapitre dans les relations franco-algériennes. François Hollande avait reconnu la « souffrance » infligée par le « système profondément injuste et brutal » de la colonisation, bien qu’il n’ait pas présenté d’excuses complètes de la part de la France concernant cet épisode de son histoire. De véritables progrès avaient été accomplis vers le rétablissement de relations plus équilibrées grâce à la mise en place de nouveaux canaux pour les relations bilatérales, y compris du CIHN – Comité intergouvernemental de haut niveau – qui réunit fréquemment des délégations de ministres français et algériens, et du COMEFA – Comité mixte économique franco-algérien –, un forum destiné à renforcer les relations économiques entre les deux pays. Mais les résultats se font encore attendre et il reste beaucoup à faire.

La visite d’Emmanuel Macron en Algérie ce mois-ci était particulièrement attendue. Son discours prononcé à Alger durant la campagne présidentielle, au cours duquel il avait qualifié la colonisation française de « crime contre l’humanité », avait fait grand bruit. Beaucoup s’attendaient à ce que son élection marque l’ouverture d’une nouvelle phase dans les relations franco-algériennes. Une fois élu, il a toutefois rompu avec la tradition mise en place par Nicolas Sarkozy and François Hollande, qui avaient fait de l’Algérie leur première escale hors de l’Hexagone : la première visite officielle de Macron fut en effet pour le Maroc, voisin et rival régional de l’Algérie. Avec l’espoir d’apaiser les Algériens, Macron qualifia cette visite de « personnelle » et envoya à Alger son ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. Depuis, il est passé par presque tous les pays de la région, à l’exception de l’Algérie.

Des intérêts communs mais des méthodes divergentes

Dans le domaine sécuritaire, les deux pays ont alterné les avancées avec les périodes de tensions.

Alors qu’ils se sont opposés sur la question de l’intervention militaire dans les conflits régionaux, les deux pays partagent tout de même des intérêts sécuritaires en Libye et au Sahel. A la suite des révolutions de 2011, l’Algérie s’est tenue à sa politique non-interventionniste et a soutenu qu’une intervention de l’OTAN ne ferait que déstabiliser davantage la région. Toutefois, elle a continué à coopérer avec la France, les Etats-Unis et d’autres pays occidentaux ou de la région, via notamment le partage de renseignements. Elle s’est aussi coordonnée efficacement avec la Tunisie afin de sécuriser leurs frontières communes.

Après avoir de nouveau défendu la non-intervention au Mali, et malgré les fortes critiques dispensées par la presse algérienne à l’Opération Serval – l’action militaire française dans la région – le gouvernement algérien a finalement décidé de permettre à l’aviation française de traverser son espace aérien, lui a fourni du carburant pour les opérations, et a fermé ses frontières avec le Mali, afin d’empêcher la retraite des groupes terroristes. La France a soutenu la médiation menée par l’Algérie entre le gouvernement malien et les rebelles Touaregs dans le nord du Mali, qui devait mettre fin au conflit qui a éclaté en 2012.

La France et l’Algérie continuent à collaborer pour la mise en place des accords d’Alger. Ces accords, vivement critiqués, se concentrent sur la démilitarisation dans le court terme du Nord Mali, ainsi que sur l’attribution d’une autorité et d’un accès aux ressources naturelles accrus aux assemblées régionales. L’Opération Barkhane a cependant provoqué la colère de certains en Algérie qui voient d’un mauvais œil la présence grandissante de la France dans la région.

Dans le même temps, le soutien français au G5 Sahel, une initiative pour une coordination à l’intérieur de la région dans les domaines de sécurité et qui réunit les mêmes cinq pays qui participent à l’Opération Barkhane, a fait grimper les tensions entre la France et l’Algérie. C’est tout particulièrement le cas dans le contexte du soutien français et européen à la force conjointe du G5 Sahel, une troupe de 5 000 hommes lancée en juillet dernier. Les membres du G5 Sahel n’ont pas invité l’Algérie à participer à cette nouvelle entité, ce qui affaiblit les tentatives de l’Algérie de s’établir en tant que leader régional dans le Sahel, en particulier dans l’arène sécuritaire. De plus, le G5 Sahel ont invité le Maroc à une réunion il y a peu à Séville. Le ministre des Affaires étrangères marocain, Nasser Bourita, a ensuite annoncé être prêt à aider la force conjointe en fournissant de la formation aux troupes et en aidant avec le contrôle des frontières.

Une meilleure coordination avec l’Algérie sur les questions de sécurité régionale est essentielle pour la France et pour l’UE, étant donné l’étendue de la frontière partagée avec la Libye, le Niger, le Mali et la Mauritanie, ainsi que sa grande armée et son expertise considérable en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme. Lors d’un discours à Abidjan la semaine dernière, le premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, a affirmé que l’Algérie avait déjà dépensé plus de 100 millions de dollars pour soutenir des efforts sécuritaires dans cinq pays du Sahel, en comparaison des 50 millions promis par l’UE à la force conjointe. Enfin, l’Algérie est un allié formidable dans la région que la France et l’UE devraient chercher à favoriser.

Un potentiel commercial encore inexploité

Dans la sphère économique, il y a encore beaucoup à faire pour mettre en place une relation commerciale réellement fructueuse entre l'Algérie et la France. Du côté algérien, les niveaux d’investissement français ont été plus bas qu’espéré. La construction d’une grande usine Peugeot a finalement été annoncée à la réunion du COMEFA 4 en novembre dernier, après avoir été repoussée plusieurs mois. Dans ses commentaires au COMEFA, le ministre de l’Economie français, Bruno Le Maire, a mentionné le déclin des relations commerciales franco-algériennes, ainsi que la complexité des négociations autour de l’accord pour Peugeot. Par ailleurs, en partie à cause de l’augmentation massive des exportations chinoises, la France ne représente que 10% du commerce algérien, contrairement au 24% de 2000. Bien que le gouvernement français semble être véritablement favorable à des investissements en Algérie, la situation économique et les régulations dans le pays rendent ceux-ci compliqués.

Dernièrement, la réticence de beaucoup d’entreprises européennes à investir en Algérie est étroitement liée à l’environnement économique et réglementaire inhospitalier. Le népotisme est monnaie courante, et les milieux d’affaires, proches du frère du président, Saïd Bouteflika, auraient joué un rôle important dans le renvoi du premier ministre, Abdelmajid Tebboune, dont les réformes nuisaient à leurs intérêts. Son successeur, Ahmed Ouyahia, est dorénavant attentif à ne pas se mettre dans une situation similaire, mais son projet pour permettre à la Banque centrale d’accorder des prêts directement au Trésor risque de causer une inflation massive.

La mise en place de mesures économiques strictes a été repoussée, permettant ainsi de relâcher la pression populaire pour quelques temps, mais causant potentiellement des troubles bien plus importants dans le moyen terme et alimentant davantage un environnement peu favorable aux investissements. En effet, durant l’année écoulée, l’Algérie est arrivée à la 166e place – une chute de dix places – sur 190 pays dans le classement Doing Business de la Banque mondiale, reflétant ainsi la dégradation de l’environnement économique.

L’accord d’association entre l’UE et l’Algérie est largement perçu comme un échec dans ses effets. Alors que l’UE et l’Algérie ont définit les nouvelles priorités de leur partenariat en mars 2017, de nombreux observateurs ont remarqué que depuis la mise en place de l’accord d’association, l’Algérie a perdu près de 7 milliards de dollars de droits de douane. Les producteurs locaux algériens ont dû faire face à une augmentation massive des exportations européennes en Algérie, alors qu’il n’y a eu qu’un accroissement négligeable dans les exportations de produits non-hydrocarbures vers l’Europe, et que les investissements de l’UE en Algérie restent faibles. Les nouvelles priorités pour le partenariat sont trop vagues et ne font pas assez pour aider l’Algérie dans ses défis économiques.

Ramener l’Europe en Algérie

Emmanuel Macron s’est relativement peu servi de sa casquette européenne dans ses relations avec la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord jusqu’à présent. Et il est fort possible que ce soit encore le cas lors de sa visite en Algérie. Cela serait cependant une erreur.

Dans l’arène stratégique, des relations plus étroites avec l’UE seraient utiles pour rassurer les Algériens quant au fait que la France n’essaye pas à nouveau de dominer la région, notamment face à une position allemande plus en retrait. Le mois dernier, le premier dialogue informel de haut niveau entre l’UE et l’Algérie sur la sécurité régionale et la lutte contre le terrorisme a rassemblé à Bruxelles Federica Mogherini, la Haute représentante pour la politique étrangère et de sécurité, et Abdelkader Messahel, le ministre des Affaires étrangères algérien. La rencontre fut l’occasion d’une ouverture des discussions sur l’avenir de l’européanisation de la sécurité dans le Sahel. C’est cet angle européen que Macron devrait garder à l’esprit lors de sa visite à Alger.

La France devrait aussi chercher à renforcer l’implication de l’UE dans l’économie algérienne. En tant que premier investisseur étranger en Algérie, la France peut certainement avoir une influence dans la revitalisation de l’industrie et de l’agriculture algériennes. Mais s’allier à l’UE permettrait à la France de collaborer avec d’autres pays y ayant des intérêts, en particulier l’Espagne et l’Italie, augmentant ainsi leur impact. Les diplomates à Bruxelles considèrent déjà la France comme le leader des questions concernant le Maghreb au Conseil européen. Pour remettre l’économie algérienne sur pied, la France devrait profiter de cette position pour renforcer les récentes priorités de son partenariat avec l’Algérie, leur donner plus de contenu et pousser pour un soutien important de l’Europe. Ces priorités comportent de bonnes idées, telles que le soutien à la modernisation et au renforcement des services publics algériens, et l’investissement dans le secteur privé pour permettre une diversification de l’économie algérienne. Un plan d’action détaillé, renforcé par un soutien important de l’UE, sera essentiel pour aider à moderniser les infrastructures obsolètes de la bureaucratie et de l’industrie algériennes.

Les prochaines années de la relation franco-algérienne seront probablement compliquées. Mais étant donné leurs inquiétudes partagées pour la sécurité de la Libye et du Sahel, ainsi que le potentiel de gains économiques bien supérieurs des deux côtés, la France ne peut pas se permettre d’attendre. La visite du 6 décembre du président Macron marquera le début de ce que l’on pourrait appeler une relation plus constructive, à condition qu’elle soit bien menée.

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