Election en Iran : ce qu’il faut savoir

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Le 19 mai, la République Islamique d’Iran organise une élection présidentielle, la première depuis l’important accord nucléaire de 2015. Le président sortant Hassan Rohani se présente face à cinq autres candidats, tous autorisés par le Conseil des gardiens de la Constitution à concourir. La campagne se joue en priorité sur les politiques économiques de lutte contre le chômage et les inégalités grandissantes, en même temps que sur la façon de réintégrer le pays dans les circuits financiers mondiaux suite à la levée des sanctions qui a suivi l’accord nucléaire.

L’élection dans les faits

  • L’élection présidentielle iranienne se tiendra le 19 mai.
  • Si aucun candidat n’obtient la majorité – plus de 50% – les deux premiers d’entre eux seront en lice lors d’un second tour le 26 mai.
  • L’élection présidentielle iranienne est presque toujours gagnée dès le premier tour.
  • Aucun président sortant n’a échoué à être élu pour un second mandat depuis le 1981.
  • Environ 56 millions d’Iraniens sont appelés à voter.
  • Le même jour se tiendront aussi des élections pour les conseils locaux.
  • L’accord nucléaire iranien – le Plan global d’action conjoint – a été signé en juillet 2015. Les sanctions de l’ONU et de l’UE ont été réduites à partir de janvier 2016.

Les décisions politiques en Iran sont principalement issues du consensus entre les différentes personnalités dirigeantes représentées au Conseil suprême de sécurité nationale (CSSN). Le CSSN est présidé par le Guide Suprême de l’Iran, Ali Khamenei, qui est l’arbitre final sur les problèmes de sécurité nationale, mais le rôle des présidents a démontré leur capacité à durcir ou modérer les décisions. Pour les gouvernements et les entreprises en Europe qui sont en relation avec la République Islamique, il existe une différence claire entre les gouvernements des présidents Mohammad Khatami, Mahmoud Ahmadinejad et Rohani.

Si Rohani est élu pour un second mandat, l’Iran poursuivra probablement son parcours d’ouverture économique et accélèrera son engagement politique avec l’Europe. A l’inverse, une victoire d’un de ses deux adversaires, Ebrahim Raisi et Mohammad Ghalibaf, entraînerait certainement une approche plus isolationniste.

Les candidats à surveiller

Hassan Rohani. Il est le président sortant, élu en 2013 avec comme mandat de mettre fin à la confrontation sur le programme nucléaire iranien et d’obtenir la levée des sanctions internationales. C’est un dignitaire religieux de 68 ans, qui possède un doctorat en droit de la Glasgow Caledonian University. Il est perçu comme ayant mis en place des politiques essentiellement centristes et comme un partisan de l’usage de la diplomatie face aux puissances mondiales.

Esghaq Jahangiri. Représentant de la faction politique réformiste, il est actuellement le premier vice-président du gouvernement de Rohani. Il a été ministre de l’ancien président Khatami. A 60 ans, beaucoup le considèrent comme le bras droit de Rohani et s’attendent à ce qu’il se retire à l’approche du jour de l’élection en faveur de Rohani afin de maximiser les voix en soutien du bloc centriste/réformiste.

Ebrahim Raisi. C’est un candidat conservateur, et un allié proche du Guide Suprême de l’Iran qui l’a nommé en mars 2016 gardien du site religieux sacré, Astan-e Quds Razavi. C’est un religieux de 57 ans, qui possède un doctorat en droit islamique, et un ancien procureur principal, qui a travaillé au comité spécial qui avait autorisé plusieurs exécutions controversées en 1988.

Mohammad Bagher Ghalibaf. Il est lui aussi un candidat conservateur, ancien chef de police et membre du Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI), maire de Téhéran depuis 2005. C’est la troisième fois qu’il se présente à l’élection présidentielle. Il a 50 ans et s’est retrouvé confronté à des critiques l’année dernière concernant la corruption au sein de la municipalité.

L’économie en priorité

La campagne électorale de 2017 s’est concentrée principalement sur l’économie iranienne. Les adversaires de Rohani ont attaqué son gouvernement l’accusant d’avoir échoué à améliorer les conditions sociales et économiques malgré l’accord nucléaire et la levée des sanctions. Selon le sondage IranPoll réalisé en avril avant que la campagne ne commence réellement, 72% de l’électorat pensent que l’accord nucléaire n’a rien fait pour améliorer la situation économique des citoyens ordinaires.

Même si le gouvernement Rohani a réussi à réduire une d’inflation galopante – de 40% au début de son mandat en août 2013 à presque 10% – cela est principalement dû à des changements de politique intérieure plus qu’à l’assouplissement des sanctions. Le chômage a atteint 12,7% – presque 3,3 millions d’Iraniens – et le chômage des jeunes est passé de 24 à 30% pendant son mandat.

Depuis la mise en place de l’accord nucléaire et l’assouplissement des sanctions en janvier 2016, les projections économiques pour l’Iran sont impressionnantes, atteignant entre 5 et 8% de croissance pendant l’année 2018. Il y a eu une légère hausse des échanges avec l’Asie et l’Europe, essentiellement grâce à la hausse des exportations de pétrole iranien, qui atteignent désormais 2,5 millions de barils par jour. Cela constitue une augmentation importante par rapport au million de barils par jour exporté en 2013, mais c’est toujours inférieur au niveau de 2011, avant que les sanctions européennes sur l’énergie ne s’intensifient.

Le gouvernement Rohani a insisté sur l’importance des investissements internationaux pour la croissance économique et la création d’emplois, affirmant que la relance des secteurs du pétrole et du gaz iraniens demandera à elle seule des investissements atteignant les 200 milliards de dollars dans les quatre prochaines années. Au cours du dernier débat présidentiel du 12 mai, Rohani a affirmé que l’accord nucléaire avait augmenté les revenus de 20 milliards de dollars, sur lesquels le gouvernement veut investir 15 milliards pour des projets de développement économique.

Toutefois, il est clair que les entreprises internationales restent encore méfiantes en ce qui concerne les investissements à grande échelle en Iran. Cela est essentiellement dû à des problèmes liés aux garanties bancaires et financières pour de tels contrats, à l’aversion du risque, et à la persistance des sanctions primaires des Etats-Unis contre l’Iran.

Par conséquent, jusqu’à présent, la réduction des sanctions n’a pas apporté le flux d’investissement ou de création d’emplois tant espéré. L’accord n’a eu que peu d’impact tangible pour les classes moyennes et ouvrières, et les inégalités sociales ont augmenté. Les opposants de Rohani cherchent à capitaliser sur ce sentiment de désillusion très répandu afin d’attirer certains des soutiens qu’avait Rohani en 2013.

La trajectoire après l’accord nucléaire

Les six candidats à la présidentielle se sont engagés à maintenir l’accord nucléaire comme document accepté par les dirigeants les plus haut placés de la République Islamique. Cependant, ils se divisent en deux sur la façon de faire face aux défis économiques qui persistent depuis la levée des sanctions.

Les candidats modérés et réformistes Rohani et Jahangiri reconnaissent qu’il faut faire plus pour dépasser les obstacles bancaires et financiers qui limitent l’intégration de l’Iran sur les marchés mondiaux, mais ils proposent une plus forte diplomatie et des réformes pour ouvrir le marché comme remèdes principaux.

Les factions opposées conservatrices – « principlistes » – rejettent cette voie, et en appellent plutôt à une approche qui en demande plus aux partenaires internationaux ainsi qu’à une économie plus autonome. Au cours du second débat télévisé qui a eu lieu le 5 mai, Raisi a insisté sur le fait qu’il est désormais temps de « tirer profit » de l’accord, mais a affirmé que Rohani était trop faible pour faire face aux Etats-Unis afin d’apporter des bénéfices économiques aux plus défavorisés en Iran. Ghalibaf, lui, projette de demander aux Etats-Unis d’accorder à l’Iran le « plein droit » d’accéder aux établissements bancaires internationaux. Les deux se positionnent comme les champions des pauvres du pays, et visent la réduction des inégalités grâce à l’augmentation de la production intérieure via des subventions en hausse.

Raisi tente de faire appel aux électeurs pieux et à bas revenus des provinces rurales. Ghalibaf critique vertement Rohani comme un élitiste – et le président des soit-disant « 4 pour-cent » supérieurs – qui est déconnecté de la réalité économique des Iraniens moyens. Il s’est engagé à créer cinq millions d’emplois et à doubler le revenu moyen. Sans surprise, ce programme a été critiqué par Rohani et Jahangiri qui ont affirmé que relever les subventions déclencherait une hausse de l’inflation et que sans investissements internationaux, il n’y aurait que peu d’espace pour la croissance économique.

Certaines des politiques promues par les candidats conservateurs semblent être plus en accord avec les souhaits du Guide Suprême de l’Iran, qui insiste depuis longtemps pour la construction d’une « économie de résistance » aux pressions occidentales. Dans un discours le 25 avril, il a conseillé aux candidats à la présidentielle de « ne pas regarder vers [les pays occidentaux] mais plutôt de se concentrer sur les capacités nationales » afin de satisfaire les besoins du pays.

Une politique étrangère élargie

Même si la campagne reste centrée sur les questions intérieures, les candidats ont présenté quelques idées concernant les rapports avec l’Occident.

Rohani et Jahangiri ont prévenu des dangers de l’isolationnisme et ont plaidé pour une expansion de la diplomatie, qui selon eux a offert à l’Iran un siège autour de la table des négociations sur la Syrie. Ils attaquent les candidats conservateurs pour leur manque d’expérience diplomatique qui ne leur permettrait pas de défendre les droits de l’Iran sur la scène diplomatique internationale.

Au cours du premier débat en direct, Jahangiri a insinué que les groupes qui ont mené le raid sur l’Ambassade d’Arabie saoudite à Téhéran en janvier 2016 étaient liés à des factions conservatrices qui cherchaient à saborder les efforts diplomatiques du gouvernement Rohani. De la même façon, au cours du débat suivant, Rohani a laissé entendre que des groupes d’opposition liés à certains des candidats conservateurs avaient essayé de faire dérailler l’accord nucléaire à travers des essais de missiles balistiques contenant des inscriptions anti-israéliennes.

Tout en soutenant la diplomatie là où c’est nécessaire, Raisi et Ghalibaf insistent beaucoup sur le besoin de renforcer les capacités militaires et de défense afin de réduire la vulnérabilité aux pressions étrangères et de sécuriser les frontières iraniennes. Ghalibaf a exprimé à plusieurs reprises une défiance profonde et virulente envers les Etats-Unis, et dans une moindre mesure, envers les Etats européens, qu’il décrit comme réalisant des profits aux dépens de l’Iran.

Qui soutient qui ?

Rohani s’est assuré le soutien de l’ancien président Khatami, vu comme le leader spirituel du bloc réformiste, ainsi que de Molana Abdolhamid, un des principaux dignitaires religieux sunnites iraniens. Afin d’attirer plus d’électeurs réformistes et issus des minorités, Rohani plaide pour plus d’attention à la création de droits civiques égaux en Iran sans considération de genre, de foi, d’ethnie et d’affiliation politique. Il a aussi clairement laissé entendre que ses principaux adversaires conservateurs partageaient le programme de factions extrémistes violentes à l’intérieur de l’Iran. Sans toutefois confirmer que Rohani était le candidat de son choix, Ali Larijani, une personnalité conservatrice d’influence qui est le président du parlement, a rejeté les projets de subventions économiques proposés par Ghalibaf et Raisi.

Raisi est soutenu par l’influent séminaire religieux de Qom. Raisi et Ghalibaf devraient gagner les voix des provinces rurales et des ménages aux revenus les plus bas qui soutenaient l’ancien président Ahmadinejad. Les dirigeants des Gardiens de la Révolution ont déclaré que le CGRI ne soutiendrait publiquement aucun candidat. Toutefois, beaucoup pensent que certaines factions puissantes en son sein soutiennent Raisi en raison de leur méfiance envers le gouvernement Rohani.

Le Guide Suprême de l’Iran encourage à une forte participation et ne soutient pas formellement de candidats – et on ne s’attend pas à ce qu’il le fasse. Il a cependant mis en doute à plusieurs reprises la capacité du gouvernement Rohani à capitaliser sur l’accord nucléaire, et des organes de presse proches du Guide Suprême ont lancé des attaques contre la campagne de Rohani.

Sondages

Le sondage IranPoll réalisé en avril avant les débats retransmis en direct à la télévision et la confirmation des candidats laissaient présager une course à trois entre Rohani, Ghalibaf et l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad. Jahangiri et Raisi, quant à eux, étaient inconnus d’environ la moitié de l’électorat. Toutefois, Ahmadinejad a depuis été disqualifié de la course, et de récents sondages d’opinion ont indiqué que Raisi pourrait remplacer Ghalibaf comme principal adversaire de Rohani.

Même si Rohani reste en pole position, l’existence d’un grand nombre d’indécis – presque 50% – pourrait changer le résultat au dernier moment. Raisi ou Ghalibaf pourraient dépasser Rohani, ou pousser à l’organisation d’un second tour. Ce serait une situation sans précédent pour un président sortant.

Si finalement Rohani l’emporte, une courte victoire affaiblirait probablement sa capacité à accélérer les réformes économiques prévues, l’ouverture aux investissements étrangers et sa volonté de chercher activement des rapports diplomatiques avec les acteurs occidentaux. Ainsi, sa campagne se concentrera sur l’importance de susciter une forte participation des électeurs et de s’assurer le soutien non seulement des groupes réformistes mais aussi des conservateurs centristes qui sont favorables à ses choix économiques et plus modérés.

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