Comment expliquer le dilemme de l’Allemagne face aux réfugiés.

A présent, l’Allemagne dépend essentiellement de la solidarité européenne pour résoudre la crise, pour laquelle elle pensait pouvoir montrer l’exemple. 

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En lisant les journaux allemands du mois d’août 2015, il est difficile de trouver des indices sur la Willkommenskultur (« culture de bienvenue ») qui allait dominer les informations en septembre. A l’époque, les incendies criminels visant les maisons ou centres d’accueil pour réfugiés, les attaques personnelles sur les étrangers et autres actes de vandalismes xénophobes faisaient la une. Pas un jour ne passait sans que l’on ne parle d’une nouvelle histoire de violence xénophobe – chacune plus honteuse que la précédente.

L’usage de la violence organisée pour influencer des décisions politiques est normalement décrit comme étant du terrorisme. Mais, si les terroristes d’extrême droite ont bien essayé de dissuader les Allemands d’accueillir des étrangers – ou d’empêcher des étrangers d’entrer en Allemagne –, leur campagne de terreur a non seulement échoué, elle s’est même retournée contre eux. La violence de l’extrême droite est l’un des éléments clés pour comprendre la décision de l’Allemagne, et en particulier de Merkel, de suspendre l’accord de Dublin pour les réfugiés venant de Syrie. Cela était non seulement une politique envers les réfugiés, mais surtout un signe que l’Etat allemand et la société allemande ne plieraient pas face à la violence de l’extrême droite. Cela explique également l’inhabituelle non-préparation de l’Etat allemand. L’effet d’attraction qu’a eu cette décision sur les réfugiés syriens a été gravement sous-estimé. Peu après que l’Allemagne ait accepté d’accueillir les réfugiés, elle a réintroduit ses contrôles aux frontières avec l’Autriche et la République tchèque afin de faire face à l’afflux croissant de réfugiés. Des quotas et des mécanismes pour répartir les réfugiés dans les villes et les Bundesländer (Länder) allemands ont été acceptés une semaine seulement après l’arrivée de la première vague de réfugiés en Allemagne. Malgré les efforts héroïques de beaucoup de volontaires et d’organisations humanitaires, les capacités allemandes à loger les réfugiés ont atteint leur point de rupture. Par conséquent, l’Allemagne a dû rendre plus strictes ses procédures de demande d’asile et de migrations, trois semaines seulement après les avoir assouplies en suspendant temporairement l’accord de Dublin. 

Les signaux nationaux contre l’extrême droite expliquent également le soutien populaire exceptionnel que Merkel reçoit vis-à-vis des politiques menées. Alors que les politiques d’asile et de migration sont perçues comme un fardeau impopulaire par tous les autres gouvernements en Europe – en particulier pour ceux en période de campagnes électorales –, le gouvernement allemand peut compter sur le soutien d’au moins 60 pour cent de la population pour sa politique de « porte ouverte ». Cela est en majorité dû au fait que la Willkommenskultur représente autant l’identité allemande post-seconde guerre mondiale que celle des réfugiés.

Cela fait de l’Allemagne un cas unique en Europe, et très difficile à imiter pour les autres pays. La vague de compassion allemande par exemple s’est étendue à l’Autriche (malgré le fait que le gouvernement social-démocrate soit actuellement menacé par le Parti de la Liberté  d’Autriche (FPÖ) dans des élections-clés). Pourtant, les élus étaient perplexes face au manque de communication du gouvernement allemand au sujet de sa politique sur les réfugiés. Et malgré la Willkommenskultur de l’Autriche, les ressources administratives n’étaient pas illimitées. La Hongrie mise à part, la soudaine hausse du nombre de personnes arrivant en Europe a submergé les capacités administratives de tous les autres Etats de transit. Les frontières temporairement fermées sont la nouvelle norme dans le sud-est de l’Europe.

A présent, l’Allemagne dépend essentiellement de la solidarité européenne pour résoudre la crise, pour laquelle elle pensait pouvoir montrer l’exemple. Cela est également vrai pour la France qui essaye de stabiliser le Sahel occidental sans avoir reçu de soutien significatif de la part d’autres Etats européens. Il est facile de pointer l’Allemagne du doigt, mais comme d’autres pays européens dépendent également de la solidarité de l’Allemagne (sur des bases permanentes ou sur des problèmes financiers par exemple), continuer un jeu négatif « d’œil pour œil, dent pour dent » sur la question des réfugiés n’est sans doute pas la meilleure chose à faire. Sur le long terme, seuls un système d’asile européen intégré, une politique migratoire, et un service centralisé pour les frontières pourraient empêcher des actes de « débrouillardise » non coordonnés, ainsi que la surcharge d’autres Etats membres à travers des décisions prises au niveau national. Sinon, la renationalisation et la remise en place des frontières de l’UE sont inévitables sur le long terme. Cela est également vrai en termes de politique étrangère si l’Europe veut résoudre sérieusement et à sa source la crise des réfugiés. 

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