Bienvenue à New York !

L’ONU est un endroit difficile pour être européen. 

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Cher dirigeant européen ou ministre des Affaires étrangères,

 

Bienvenue à New York ! Cela doit faire du bien d’être dans la Grosse Pomme après toutes ces réunions inconfortables à Bruxelles au sujet de la crise des réfugiés. Cela dit, la plupart d’entre vous voient arriver la réunion annuelle de haut niveau de l’Organisation des Nations unies (ONU) avec un sentiment d’horreur. Ce tourbillon de dirigeants fait paraître simple par comparaison le plus complexe des sommets de l’Union européenne (UE).  Cette année, la visite du Pape à New York a enthousiasmé tout le monde. Mais vous devriez être conscient que vous faites face à des maux de tête familiers ? ici aussi :

 

1.       Vous ne pouvez échapper à Vladimir Poutine. Le président russe assiste à l’Assemblée générale pour la première fois en dix ans, et attire toute l’attention. Il semblerait qu’il va exposer de nouveaux plans pour mettre fin à la guerre en Syrie lorsqu’il parlera lundi. En revanche, il évitera probablement toute discussion sérieuse sur l’Ukraine.

Quelques uns d’entre vous vont essayer de le déstabiliser. Tous les yeux seront rivés sur le nouveau président polonais Andrzej Duda, qui parlera après Barack Obama et avant Poutine lundi matin. Cela sera une bonne occasion le mettre au défi au sujet de l’Ukraine.

Mais cela pourrait faire plus de mal que de bien. Le cessez-le-feu le plus récent, dans l’Est de l’Ukraine, est respecté depuis plusieurs semaines. Pourquoi semer le trouble maintenant ? En toute honnêteté, les Russes ne sont de toutes façons pas si inquiétés que ça par les critiques européennes à l’ONU. Ils considèrent le Conseil de sécurité comme étant un lieu où ils peuvent conclure des accords bilatéraux avec les Etats-Unis, comme je l’ai noté dans un article ECFR en juin dernier, et vont même marginaliser la France et le Royaume-Uni (RU) s’ils le peuvent. 

 

2.       Vous avez un énorme problème de crédibilité à propos de la crise des réfugiés syriens. Les images de réfugiés à la dérive à travers l’Europe ont gravement endommagé la réputation de l’UE à l’ONU. Même le précautionneux secrétaire général Ban Ki-mon a déclaré être « choqué » par les images de la frontière serbo-hongroise. Ban va également vous mettre dans une position difficile en vous mettant au défi de trouver plus d’argent pour aider les réfugiés syriens au Liban, en Jordanie et en Turquie. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a dû réduire les rations qu’il distribue dans la région en raison du manque de fonds. Tout le monde attend de vous que vous décriviez à quel point la crise est douloureuse, et le président de l’UE Donald Tusk a fait pression pour des fonds supplémentaires pour le PAM, mais ils suspectent que vous n’êtes pas en mesure de trouver l’argent nécessaire à la résolution de la situation.

 

3.       Personne ne croit en les plans de l’UE de se mettre d’accord avec la Lybie. En combinant vos problèmes d’ordre général avec la crise des réfugiés, l’UE est confrontée à une grande quantité de scepticisme à l’ONU à propos de son plan pour des opérations militaires visant les passeurs basés en Lybie. La Russie a menacé plus tôt cette année d’utiliser son veto si une résolution du Conseil de sécurité autorisait ce plan. Bien que Moscou ait assoupli sa position, les trois membres du Conseil de l’Afrique (l’Angola, le Tchad et le Nigéria) ont continué à exprimer leurs objections. Ban Ki-moon a également prévenu à répétition que des frappes militaires sur les bateaux et les bases des passeurs feraient plus de mal que de bien. Même si le Conseil de sécurité votait finalement en faveur de cette combine, beaucoup d’observateurs de l’ONU s’attendent à ce qu’elle soit un échec.

 

4.        Les Etats-Unis vous jugent sur votre engagement à maintenir la paix de l’ONU. Vous êtes malheureusement habitué à ce que Washington se plaigne que vous ne faites pas assez pour l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). A présent, vous vous rendez compte que les Etats-Unis pensent que vous devriez également déployer plus de troupes sous la bannière de l’ONU. Au cours de cette dernière année, l’administration Obama a fait savoir que les Casques bleus – qui font face à des défis majeurs dans des foyers de crises comme le Soudan du Sud et le Mali – ont besoin de renforts militaires avancés comme les vôtres. Obama lui-même préside un sommet sur cette question lundi après-midi, et beaucoup d’entre vous ont reçu un appel téléphonique du président et de ses conseillers vous demandant de proposer vos troupes.

Un bon nombre d’entre vous le font. Le Royaume-Uni a indiqué la semaine dernière qu’il enverrait un nombre « significatif » de troupes au Soudan du Sud (ce seront probablement des ingénieurs). Les Pays-Bas et les pays scandinaves ont déjà gagné des points à Washington et à Paris en envoyant des agents au Mali. Un officiel américain anonyme a récemment affirmé que vingt pays européens pourraient promettre lundi plus d’unités à l’ONU, même si les Etats-Unis ne vont probablement pas offrir beaucoup de leurs propres soldats.

Ceci témoigne de l’influence permanente qu’ont les Etats-Unis à l’ONU. Un grand nombre de généraux et d’officiels européens de la défense considèrent toujours les opérations de Casques bleus avec dégoût, après ce qui s’est passé dans les Balkans. Certains suggèrent que l’ONU a cependant un rôle important à jouer dans la lutte contre les groupes terroristes dans les cas comme le Mali. L’Italie pense que l’ONU devrait envoyer des gardiens de la paix en Libye, et est prête à envoyer une partie de ses troupes pour effectuer une telle mission. Mais les officiels de l’ONU, et beaucoup des contributeurs actuels aux forces de l’ONU, ont peur que l’organisation manque des doctrines, des capacités et de la volonté politique nécessaires à la gestion de missions anti-terrorisme sérieuses. Cela est peut-être la source d’une frustration grandissante en Europe.

 

5.       Tout le monde vous suspecte de vouloir devenir le prochain Secrétaire général (surtout si vous êtes d’Europe de l’Est). Allez, admettez-le : l’idée a traversé votre esprit. Ban Ki-moon se retire à la fin de l’année prochaine. Grâce à quelques obscurs précédents de l’ONU, il y a de fortes chances pour que son successeur soit d’Europe de l’Est. Beaucoup des politiciens de la région font courir la rumeur qu’ils sont plus ou moins candidat au poste (voir plus sur la course aux élections sur « UNSG 2016 »). Il est toujours possible, cependant, que Moscou rejette quiconque d’Europe de l’Est que l’UE ou les Etats-Unis accepteraient. Cela pourrait étendre la compétition à des candidats d’Europe occidentale ainsi qu’à des non-européens. Les grands de l’UE, comme l’ancien président de la Commission José Manuel Barroso, sont apparemment en train de réfléchir à une campagne. Et si tout leader européen qui se respecte prétend que vous ne l’avez pas imaginé du tout, il est sans doute juste mauvaise-langue.

Donc, vous faites face à un paradoxe. A l’heure actuelle, l’ONU est un endroit assez triste pour être un dirigeant européen. Poutine vous fait de l’ombre. La crise des réfugiés et la Lybie vous donnent l’air méchant et faible. Les Etats-Unis veulent que vous envoyiez vos soldats dans des opérations de maintien de la paix dont vous vous méfiez. Mais si toutefois vous faites bonne impression à l’Assemblée générale, les gens pourraient commencer à dire que vous devriez être le prochain Secrétaire général.

 

A tout le moins, cela serait bon pour l’égo. Mais après cette dose de désagréable réalité des politiques de l’ONU, voudriez-vous vraiment le poste ? L’ONU est un endroit difficile pour être européen.

 

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