Après le Brexit, la priorité de l’Europe est l’unité entre les 27

Londres fait ses adieux à Berlin alors que l'Allemagne s'adoucit sur les dissensions européennes. Mais l'objectif reste la survie de l'UE.

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Londres fait ses adieux à Berlin alors que l'Allemagne s'adoucit sur les dissensions européennes. Mais l'objectif reste la survie de l'UE.

Le discours de Theresa May de la semaine dernière n’a pas été très remarqué par le public allemand. Les journaux titraient plutôt sur la présidence de Donald Trump à venir et sur son entretien pour Bild, un tabloïd allemand assez populaire. Sept mois après le référendum, les Allemands se sont fait à l’idée que le Royaume-Uni était sur le point de sortir de l’Union européenne (UE).

En effet, le public allemand n’a montré que très peu d’intérêt pour l’avenir des relations de l’Europe avec le Royaume-Uni, et encore moins pour les menus détails du retrait légal du Royaume-Uni et de sa relation future avec l’UE. En fait, le vote pour le Brexit n’a fait que renforcer le soutien à l’UE à Berlin.

Comme le montre une étude menée à la fin de l’année 2016, la vision allemande de l’UE a évolué de façon positive au cours de l’année passée, en grande partie grâce au résultat du référendum britannique.

Alors qu’en mars 2016, 61% des Allemands interrogés suggéraient qu’ils voteraient contre la sortie de l’UE lors d’un potentiel référendum, ce nombre a atteint presque 70% en août, laissant penser que les citoyens sentent plus le besoin d’une solidarité et d’une sécurité européennes face à une séparation potentielle. L’inauguration de Donald Trump a certainement renforcé ce sentiment, considérant qu’un des aspects particulièrement controversé de l’entretien de Donald Trump pour Bild a été son idée que la sortie d’autres pays de l’UE n’était pas seulement probable mais aussi souhaitable.

Au sein de la classe politique berlinoise, s’est développé un sentiment d’appartenance similaire. Le résultat du référendum de juin 2016 n’a pas vraiment été une surprise pour Berlin ; mais le fait que Westminster ne se soit pas préparé à cette éventualité de manière adéquate a créé une grande stupéfaction. Après le référendum, plusieurs ministres du gouvernement ont exprimé leur désarroi face à ce qui est considéré comme une attitude tout à fait insouciante de la part des hommes politiques britanniques.

« L’Europe n’est pas quelque chose avec lequel on s’amuse », a commenté le ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, devant le corps des ambassadeurs de Berlin l’été dernier, dissimulant à peine une critique des « Brexiters ». En fait, le chaos politique créé par le référendum n’a fait que renforcer l’avis selon lequel, dans l’éventualité où il faudrait choisir entre conserver de bonnes relations économiques avec le Royaume-Uni et maintenir l’UE en bonne forme, Berlin devrait choisir la deuxième solution.

La priorité de maintenir l’unité entre les 27 a été le message dominant et régulier à Berlin ces derniers mois, et Angela Merkel a investi beaucoup d’énergie à formuler une position unique des Européens sur le processus du Brexit. Ainsi, il n’y a aucun désir de représailles mais plutôt l’analyse sobre et solennelle que le retrait britannique n’est qu’un défi de plus à ajouter à l’agenda de politique étrangère de Berlin, déjà très chargé. Sur une note plus positive, la menace pour la cohésion européenne a de nouveau rapproché Berlin et Paris, et à ce stade, Berlin est bien plus inquiet concernant l’avenir de la France au sein de l’UE. Une présidente Le Pen serait une menace bien plus grave et existentielle pour l’UE, que le Brexit ne pourrait l’être.

Dernièrement, le gouvernement allemand a résisté à la séduction opérée par Londres, en insistant sur le fait que les négociations ne commenceraient pas tant que le Royaume-Uni n’aurait pas officiellement déclenché l’article 50. De façon remarquable, Berlin est resté ferme sur ce point-là au cours des derniers mois, défendant le fait qu’il n’y aurait aucun compromis sur les « quatre piliers ». Dans ce contexte, le discours de Theresa May de la semaine dernière a en fait été accueilli favorablement à Berlin. L’annonce de la première ministre assurant que le Royaume-Uni encouragerait une séparation franche et complète de toutes les institutions de l’UE – y compris du marché unique – et viserait la négociation d’un accord de libre-échange avec l’UE a apporté une plus grande clarté aux négociateurs européens, et a réduit le risque d’une sélection biaisée de la part du Royaume-Uni.

Cela étant, les dirigeants allemands savent par expérience que ce qui leur semble manichéen peut-être perçu très différemment de l’autre côté du Tunnel. Autrement dit, Berlin anticipe aussi que, dans les négociations à venir, les buts précis actuellement poursuivis par Theresa May pourraient laisser place à une approche plus imprévisible ; et négocier des règles spéciales pour des secteurs spécifiques, tels que le monde financier, pourrait toujours être sur la table plus tard.

Berlin s’est préparé à ce que l’UE entre dans une période de négociations complexes et éprouvantes une fois que l’article 50 aura été déclenché ; et étant donné le discours de la semaine dernière, il est devenu extrêmement clair que le Royaume-Uni devra taper très fort s’il veut réaliser la vision de Theresa May de « Global Britain ».

Le récent entretien de Philip Hammond pour le journal allemand Die Welt, dans lequel il a laissé entendre que le Royaume-Uni pourrait bien devenir un « paradis fiscal » afin de compenser les conséquences du Brexit, a été décrié partout en Allemagne, illustrant l’état du discours actuel. Dans le même temps, il existe aussi un large consensus sur le fait que le Royaume-Uni et l’Allemagne souffriraient tous deux grandement du scénario de « dumping fiscal » esquissé par Philip Hammond.

Berlin n’a jamais souhaité que le Royaume-Uni quitte l’UE et par bien des aspects, ce choix arrive au pire moment. L’Europe est confrontée à d’importantes questions concrètes de prospérité et de sécurité, alors que dans le même temps il y a un sentiment de réalisme à Berlin qui, il y a quelques années seulement, aurait été apprécié à Londres.

Mais actuellement, comme la première ministre l’a exprimé dans son discours, le Royaume-Uni adopte une perspective large, tandis que le gouvernement allemand insiste durement sur le fait que ce n’est pas le moment pour des perspectives, ou pour des envolées lyriques sur une « union toujours plus étroite », mais plutôt le moment pour une plus grande impartialité afin de régler les problèmes. L’ironie du sort est donc que le Royaume-Uni abandonne l’Europe alors que l’Allemagne a peut-être fini par apprécier la beauté des nuances de gris.

Pourtant, le fait que l’Allemagne ait à plusieurs reprises souligné la position de faiblesse du Royaume-Uni dans les négociations ne devrait pas être vu comme le symptôme d’un excès de confiance. Le gouvernement allemand est tout à fait conscient que maintenir l’UE unie fera l’objet d’une lutte acharnée ; une lutte rendue d’autant plus difficile depuis que le Président Trump a franchi le seuil du Bureau ovale.

Ce commentaire a d'abord été publié dans The Guardian le 22 janvier 2017.  

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