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Billet de blog 13 juillet 2020

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Une victoire de Biden pourrait relancer les relations transatlantiques

Il est impensable que Biden n’opère s’il est élu aucun changement majeur dans la politique américaine vis-à-vis de l’Europe. Biden a toujours été un transatlantiste convaincu, et il est parvenu, au cours d’une carrière politique longue de plusieurs décennies, à nouer des relations étroites avec certains dirigeants européens clés, dont la chancelière Angela Merkel.

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Tel que l’a déclaré le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas dans son discours inaugural devant le Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), quelle que soit l’issue de l’élection présidentielle américaine du mois de novembre, les Européens « vont devoir réfléchir à la manière de mieux contenir les conflits observés au voisinage de l’Europe, même sans l’aide des États-Unis ».

C’est un point de vue largement répandu. De nombreux commentateurs européens, parmi lesquels Janan Ganesh et Wolfgang Mûnchau du Financial Times, estiment que les relations Amérique-Europe ne changeraient pas significativement même si un démocrate venait à battre le président Donald Trump. Selon eux, un président américain démocrate demeurerait protectionniste sur le plan commercial, proche des prétendus instincts isolationnistes de l’opinion américaine, et tout aussi peu enthousiaste que son prédécesseur quant à l’idée de signer des chèques pour la défense de l’Europe. Cette description a dans un premier temps été appliquée aux sénateurs Elizabeth Warren du Massachusetts et Bernie Sanders du Vermont, malgré leur solide soutien à la coopération internationale ainsi qu’aux droits de l’homme. Aujourd’hui, certains Européens y incluent également Joe Biden.

Or, il est impensable que Biden n’opère s’il est élu aucun changement majeur dans la politique américaine vis-à-vis de l’Europe. Biden a toujours été un transatlantiste convaincu, et il est parvenu, au cours d’une carrière politique longue de plusieurs décennies, à nouer des relations étroites avec certains dirigeants européens clés, dont la chancelière Angela Merkel. Vice-président de 2009 à 2017, il a toujours été disponible pour apporter sa diplomatie personnelle lorsque le président Barack Obama ne l’était pas.

Si les observateurs européens ont raison de douter d’un retour de la relation transatlantique à son état pré-trumpien, ils sous-estiment pour autant ce qu’une victoire de Biden pourrait signifier pour la politique étrangère américaine. Le Parti démocrate demeure un parti de valeurs, et une administration Biden au pouvoir opérerait une réinitialisation complète après quatre années Trump, en rétablissant l’Amérique dans son statut de leader responsable sur la scène mondiale.

Là où Trump a passé son mandat à provoquer des tensions avec l’Europe autour du changement climatique, du commerce, et des droits de l’homme, Biden réinviterait l’Amérique à la table de la diplomatie. Les États-Unis rejoindraient l’accord climatique de Paris, concluraient à nouveau des accords commerciaux, et participeraient aux efforts coopératifs visant à faire en sorte que l’innovation technologique se conforme aux principes des droits de l’homme.

Au sein de l’Union européenne, l’image de l’Amérique est aujourd’hui plus désastreuse que jamais, après la réponse tardive, incohérente et inefficace de l’administration Trump face à la crise du COVID-19, réponse qui consiste en grande partie à faire des reproches aux autres pays, plutôt qu’à coopérer avec eux. Au lieu de combattre la crise en usant des ressources de l’Organisation mondiale de la santé ainsi que d’autres organisations multilatérales, les États-Unis ont interdit les entrées en provenance d’Europe, et annoncé qu’ils définanceraient l’OMS. L’un des premiers objectifs de politique étrangère de Biden consistera très certainement à corriger cette erreur, en considérant le COVID-19 comme la crise mondiale qu’elle est. Cela signifie tirer parti de la coopération internationale pour protéger les Américains contre la pandémie (et ses conséquences économiques dévastatrices), tout en menant les efforts mondiaux de lutte contre la menace.

Avec Biden à la Maison-Blanche, les télécoms européens tels que Nokia et Ericsson seraient reconnus et soutenus comme les défenseurs de l’alliance 5G transatlantique, et les États-Unis aideraient l’Europe à se sevrer du gaz russe, dans sa transition vers des énergies propres. Une administration Biden reconnaîtrait par ailleurs la nécessité de négociations pour un renouvellement du traité New START avec la Russie sur les armes nucléaires, qui expire en 2021. Elle œuvrerait également pour d’autres formes de contrôle des armes, dans la défense des intérêts sécuritaires européens et américains, ainsi que pour empêcher une nouvelle course aux armements.

Plus important encore, une administration Biden honorerait tout simplement ses engagements, et inspirerait confiance quant au respect par l’Amérique de ses obligations auprès de ses partenaires et alliés à travers le monde. La seule question consisterait à savoir si l’Europe, de son côté, serait prête à faire les choix difficiles nécessaires au renouveau de l’alliance.

Trump a laissé l’Europe se soustraire à ces choix, les comportements farfelus du président américain détournant l’attention européenne de la plupart des autres problématiques. Tous les regards se tournant notamment vers les tensions sino-américaines croissantes, l’UE est devenue plus conciliante auprès de la Chine. Le haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, Josep Borrell, a ainsi déclaré début juin que l’Europe ne considérait pas la Chine comme une menace militaire. De même, là où les responsables politiques américains des deux partis ont fortement condamné la promulgation par la Chine d’une nouvelle loi sécuritaire à Hong Kong, la réaction de l’UE a été relativement timide.

N’oublions pas non plus que l’UE forme le plus grand bloc commercial de la planète. Avec la détermination suffisante, et en étroite collaboration avec les États-Unis, l’Europe peut exercer une influence considérable dans la promotion d’un système multilatéral fondé sur des règles. Pour ce faire, il lui faudra néanmoins renforcer son capital politique et diplomatique.

Ceci vaut également pour certaines problématiques géographiquement plus proches. L’Europe a tout intérêt à coopérer avec les États-Unis pour renforcer l’indépendance et la résilience de l’Ukraine face à l’agression russe, notamment en maintenant le régime de sanctions dernièrement renouvelé contre le Kremlin. L’UE a de même tout à gagner à ouvrir une voie d’accession aux pays des Balkans occidentaux, ainsi qu’à mettre un terme aux blocages qu’opèrent depuis longtemps la Russie, la Chine, la Turquie, et d’autres puissances. Dans le rapprochement des Balkans de l’Ouest auprès de l’alliance transatlantique, l’Europe pourrait compter sur le soutien d’une majorité bipartisane au Congrès américain.

La poursuite de l’un ou l’autre de ces objectifs exigerait de l’UE qu’elle place ses valeurs au-dessus des opportunismes politiques et diplomatiques. Ce faisant, l’Europe montrerait à l’opinion américaine qu’elle n’est en rien la passagère clandestine décrite par Trump, mais bien une partenaire fiable et confiante. En réalité, les Américains observent d’ores et déjà souvent l’Europe en quête d’idées politiques, qu’il s’agisse de faire face aux sociétés du Big Tech, de protéger le droit à la vie privée, ou d’assurer une couverture santé et autres composantes essentielles du filet de sécurité sociale. Un renouveau de la relation transatlantique pourrait bien favoriser le flux d’idées européennes vers les États-Unis.

Ce renouveau transatlantique exigerait d’un autre côté des États-Unis qu’ils se dressent pour défendre les droits de l’homme et la démocratie, ce qui signifierait par exemple adopter une ligne plus ferme à l’égard de l’actuel gouvernement turc. La bonne nouvelle, c’est que cela ne devrait pas être trop difficile. Les sondages menés par National Security Action révèlent régulièrement que la plupart des Américains s’inquiètent de la mauvaise gestion par Trump des relations des États-Unis avec les autres pays, et qu’ils préfèreraient voir le gouvernement américain défendre haut et fort les valeurs professées par leur pays, notamment les droits de l’homme.

Ces dernières années, les tirades télévisuelles de Trump contre l’alliance transatlantique ont donné à l’Europe toutes les raisons de se replier sur elle-même, et de céder au protectionnisme. Or, les données de sondage de l’ECFR révèlent qu’un grand nombre des Européens aujourd’hui favorables au protectionnisme sont d’anciens défenseurs – déçus – de l’alliance transatlantique. Dans l’hypothèse d’un changement à la tête des États-Unis, et de l’adoption d’une approche plus familière de la part de Washington, leur déception pourrait s’estomper.

Laissons les commentateurs européens déformer les faits concernant Biden, les Démocrates, et les opinions des Américains sur la politique étrangère. En abaissant les attentes, ils rendront les accomplissements d’une future administration Biden d’autant plus remarquables au yeux du public européen. Relations et alliances sont après tout également une question de perception.

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