Europe and the China Challenge

Could the dream of a “G3”  between the EU, China and the US ever become a reality? Or will the EU remain in the sidelines? Francois Godement argues in a piece for Le Monde that to avoid irrelevance, the EU needs to decide what it wants from China. (article in French)

Les ministres européens des affaires étrangères débattent de la Chine et de l’Inde à leur réunion semestrielle informelle, appelée “Gymnich”. La représentante de l’Union, Catherine Ashton, revient de Chine. Et dans une semaine, le Conseil européen évoquera la stratégie extérieure de l’Union face à ses grands partenaires. Il avait été envisagé un temps que le Conseil lui-même concentre son attention sur la Chine. L’encombrement de l’ordre du jour et les débats autour du service extérieur européen en ont décidé autrement.

C’est l’art de la diplomatie chinoise – sauf en période de crise comme ce fut le cas en 2008 – que de rester en deçà du seuil de mobilisation stratégique de ses partenaires. La Chine a repris le cours normal de ses relations avec l’Europe : une réunion par an, des communiqués qui se sont raccourcis mais où le caractère “stratégique” de la relation est assené : pas moins de douze fois dans le communiqué du sommet sino-européen du 30 novembre 2009. Les Chinois rassurent leurs interlocuteurs quant à la place de l’Europe dans les priorités chinoises.

Mais qu’on sorte des entretiens officiels, et une autre vérité se fait jour : ainsi le président de l’institut shanghaïen des relations internationales, M. Yang Jiemian, écrit-il que “l’Europe a perdu sa deuxième place au sein du système international, et elle est la cible des réformes de celui-ci”. Ou comme le dit avec le sourire un haut dirigeant chinois : “Le monde change très vite : comment l’Europe va-t-elle s’adapter à ces changements ?”

L’Europe a bien une place importante pour la Chine, dont elle est le premier marché. L’action ou l’influence chinoises touchent de plus en plus près les intérêts européens : qu’on songe à la spectaculaire montée en puissance chinoise en Afrique, ou à l’impact psychologique des achats chinois d’emprunts espagnols en juillet 2010. Mais tout cela ne crée pas l’évidente relation de dépendance mutuelle qui existe, par exemple, entre la Chine et les Etats-Unis. Dans ces conditions, parler d’un “G3” (Etats-Unis-Chine-Europe) ou d’un “G2 bis” (Chine-Europe) pour régenter les affaires du monde relève du rêve.

Les perspectives européennes sont d’une nature plus modeste et plus urgente : d’abord, créer une unité – et surtout une continuité ! – de vue sur quelques priorités stratégiques avec la Chine. Ensuite, créer les mécanismes de coordination nécessaires. Cela seul permettra d’appliquer une politique, quelle que soit celle-ci, et de persuader la Chine de la ténacité européenne. Enfin, l’Europe doit travailler à éviter l’isolement international face à de nouvelles coalitions d’intérêts au milieu desquelles on retrouve bien souvent la Chine.

Celle-ci ne cherche pas à renverser ni d’ailleurs à réformer véritablement le système international. Mais elle en a une conception défensive. La Chine se place sans hésitation au sein de “coalitions des réticents” dans les domaines les plus divers : les droits de l’homme bien sûr, mais aussi le changement climatique, la contre-prolifération, les taux de change flottant par exemple. Par-dessus tout, elle ne veut pas quitter la catégorie des pays en développement – ce qui soulève à brève échéance une question nouvelle : la première économie mondiale pourrait-elle être une économie au statut dérogatoire par rapport à tous les – autres – pays industrialisés ? La prodigieuse inégalité de revenus en Chine n’interpelle-t-elle pas avant tout sa propre politique économique ?

Cette résistance ne peut plus être confondue avec un immobilisme. Sur bien des sujets, la Chine peut très bien évoluer par elle-même, ou en donner l’impression. Trois cas se présentent : ce peut être pour désamorcer les critiques, ou en raison de ses intérêts bien compris, ou même par évolution de ses conceptions.

Dans le premier cas, on trouve l’annonce, officieuse en mars puis officielle en juin 2010, du passage tant souhaité de la monnaie chinoise au change flexible. Cette annonce a coïncidé avec l’apparition pendant deux mois d’un déficit commercial, encadrant la tenue du dialogue stratégique et économique sino-américain. On sait ce qu’il en a été : le yuan n’a connu aucune appréciation par rapport au dollar, et les surplus commerciaux chinois battent à nouveau des records. A la question de savoir quand le yuan flottera et deviendra convertible, la réponse est : le plus tard possible.

Cet exemple doit mettre en garde les responsables européens contre une focalisation sur la réforme de l’architecture monétaire et financière mondiale. La Chine utilise surtout le terrain de la réforme pour renvoyer les responsabilités immédiates, et l’Europe se retrouvera vite en position d’accusé, sommée de mettre fin à sa surreprésentation au FMI, au G8 et peut-être même au G20. Ensuite, la politique monétaire chinoise n’évolue pas vers une prise de responsabilités accrue, mais vers la consolidation d’une situation exceptionnelle : celle d’une monnaie qui devient un instrument de règlement commercial et crée un marché obligataire semi-ouvert, sans pour autant être une devise convertible. Seul un risque majeur pour la croissance chinoise pourrait faire prendre des engagements internationaux plus importants.

Dans le second cas, on trouve un exemple éloquent : celui de la réduction des émissions et de la lutte contre le changement climatique. Ici, la Chine suit ses intérêts. Au sommet de Copenhague, elle s’est placée au centre des économies émergentes. La volonté et l’exemple européens n’ont eu aucun effet. En revanche, la Chine développe avec cohérence les énergies alternatives : reine des panneaux solaires, forte dans l’énergie éolienne, elle est en tête pour les investissements dans la voiture hybride ou électrique, et truste les ressources minières de terres rares et autres métaux qui sont au coeur de l’économie décarbonée. Tout comme elle est devenue le premier fabricant de téléphones mobiles sans avoir beaucoup développé la téléphonie fixe, elle s’estime bien placée pour dominer une industrie automobile débarrassée du moteur à combustion.

Ici le dilemme européen est cornélien : les aides, transferts de technologie et achats de certificats carbone par l’Europe ont renforcé les industries chinoises, sans que celles-ci coopèrent avec les firmes européennes ni ne respectent, bien souvent, la propriété intellectuelle. Les banques chinoises financent maintenant leur essor dans les pays tiers, comme dans l’industrie minière, les transports ferroviaires et les infrastructures routières.

Enfin, dans certains cas, les conceptions chinoises évoluent, sans qu’on discerne une influence européenne ou occidentale. Ainsi en va-t-il de l’application de la peine de mort. Les critiques européennes n’ont guère eu d’impact. Mais la Chine est un cas finalement assez isolé en Asie : l’Inde n’applique plus en pratique la peine de mort, le Japon et Taïwan, après un long moratoire, ont certes recommencé quelques exécutions, mais dans un climat polémique. Même Singapour, qui détenait, avec le Texas, le record des exécutions rapportées à la population, a en pratique divisé leur nombre par dix au cours des dernières années.

La Chine a franchi deux étapes, en instaurant un passage obligatoire par la plus haute juridiction pénale, ce qui en pratique restreint le nombre des exécutions, et tout récemment en sortant de son champ d’application la plupart des délits économiques. Ce que la Chine n’accorde pas aux critiques européens, elle peut très bien le concéder à son élite économique et à ses cadres, bref à ses classes possédantes ou d’influence.

Ces trois exemples très différents montrent combien l’idée européenne d’un “multilatéralisme effectif”, celle de l’engagement constructif par l’exemple ou de la convergence des normes, sont des politiques de plus en plus difficiles à soutenir avec la Chine. Ce d’autant que la Chine est parfois moins isolée que l’Europe sur la scène internationale. On l’a vu sur les droits de l’homme à l’ONU, sur le climat à Copenhague, en Afrique, et à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) durant le cycle de Doha – dont les négociations sont officiellement suspendues depuis juillet 2006.

Le risque est donc que l’Europe veuille beaucoup, mais avec des moyens qui restent dilués. La Chine a des objectifs pragmatiques, concentrés sur la richesse et la puissance et servis par un système de mobilisation léniniste qui a survécu à la transition économique.

Alors, comment réagir à ce différentiel de puissance qui ne reflète ni le poids ni l’avance européennes ? A terme, l’Europe doit bien sûr s’interroger sur certains aspects de son propre modèle. Le déclin démographique – sauf en France et en Irlande – et la réticence à toute politique industrielle au niveau européen constituent un cocktail de recettes anticroissance. L’aide internationale a ses limites comme source d’influence, surtout quand elle n’est pas en phase avec nos propres intérêts. L’Europe a besoin d’un marché unifié de la dette et des obligations publiques, attractif pour les capitaux globaux, y compris ceux de la Chine.

Ces changements-là sont ceux de l’avenir, mais les avancées chinoises pourraient rapprocher l’échéance. L’autoroute polonaise Varsovie-Lodz est construite par une firme chinoise avec des financements bancaires chinois (et une subvention européenne…). Les deux acteurs les plus connus de la téléphonie mobile et de l’Internet bon marché en France ont été les premiers, comme des dizaines de firmes africaines, à utiliser les produits d’une firme chinoise devenue un acteur de taille mondiale. Une partie de l’électricité anglaise va être produite par le milliardaire hongkongais Li Ka-shing. Globalement, le rythme de la croissance chinoise et de ses achats extérieurs d’or, de pétrole, de métaux, minerais et transports maritimes est aujourd’hui décisif pour injecter inflation ou déflation dans la conjoncture mondiale.

A très court terme, l’Europe doit en tout cas concentrer ses moyens sur quelques objectifs, et rechercher sur chacun de ceux-ci des partenaires de coalition.

Economiquement, la Chine a besoin du marché européen, y compris pour la diversification de ses immenses réserves de change. L’apparition après le traité de Lisbonne d’une législation européenne sur les investissements peut être un levier sur l’économie chinoise, dont des pans entiers restent fermés. Nos propres entreprises, surtout dans les secteurs de quasi-monopole ou de rente, s’opposeront peut-être à une arrivée des investisseurs chinois – qui ne peut donc être justifiée qu’en termes de concessions réciproques. La propriété croisée d’entreprises de secteurs-clés en serait un moyen, mais il faut pour cela que la Chine s’éloigne du nationalisme économique.

La politique climatique de l’Europe doit être révisée : comment poursuivre une aide qui a permis à la Chine de construire des champions nationaux, alors que nous devrions créer une interdépendance ? Et aussi, il faut bien le dire, se servir des bas coûts de production chinois pour révolutionner la production d’énergie alternative en Europe. Le respect de la propriété intellectuelle et des brevets est la clef d’une coopération future entre la Chine et l’Europe.

Stratégiquement aussi, les priorités européennes sont très claires. Au premier rang d’entre elles, la prolifération. Car l’Europe court plus de risques que les Etats-Unis à un Iran doté de la bombe, et à l’engrenage qui s’ensuivra. La Chine est un acteur d’influence à la fois en Corée du Nord et en Iran. Obtenir qu’elle utilise de façon décisive cette influence, et soutenir nos partenaires coréen et japonais pour qu’ils ne faiblissent pas à propos de l’Iran, constitue un véritable test pour la sécurité européenne. Nous devons faire comprendre à la Chine qu’en restant équivoque, elle nuit aux intérêts les plus fondamentaux de l’Europe.

Enfin, après leur retour soudain au premier plan en 2008, les libertés devraient-elles quitter la scène ? L’Europe n’a pas trouvé les moyens décisifs de persuasion ou de coercition. De plus, l’enjeu s’est souvent déplacé hors de Chine – l’impact d’une politique étrangère chinoise assez dénuée de principes est devenu un enjeu majeur. Nous devons maintenir l’exemplarité européenne, par exemple dans un domaine comme la peine de mort, symbolique de l’élimination de la violence comme résolution des problèmes, et souvent corrélé en pratique avec une évolution démocratique. Nous devons bien sûr assurer au niveau européen qu’aucun chantage ne puisse être exercé sur le droit de nos responsables à rencontrer qui bon leur semble. Mais nous devons aussi ouvrir les yeux sur la crise que traverse la démocratie en Asie orientale. Elle aboutit finalement à restaurer des gouvernements conservateurs : ils n’ont aucun appétit, non plus que l’Inde, pour promouvoir la démocratie hors de leurs frontières. Les messages qu’ils adressent à la Chine portent sur les relations de voisinage, les questions territoriales et militaires, la péninsule coréenne.

Si l’Europe veut défendre ses intérêts comme ses valeurs, elle doit unifier ses vues autour de priorités claires et démontrées dans le temps. Les Etats membres comme le nouveau Service européen d’action extérieure doivent relayer ces priorités sans relâche, et en trouver la traduction technique dans les nombreux dialogues spécialisés qui existent avec la Chine. Ce faisant, et en constituant au cas par cas des coalitions de “soft power” avec nos partenaires, l’Europe sera considérée en Chine autant que son poids le mérite.

This piece was first published by Le Monde.

The European Council on Foreign Relations does not take collective positions. ECFR publications only represent the views of their individual authors.

Author

ECFR Alumni · Director, Asia and China Programme
Senior Policy Fellow

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