Contrôler le chaos : comment la Russie mène sa guerre politique en Europe

Un rapport de l’ECFR évalue le degré de planification et de coordination de Poutine dans sa guerre politique

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Comment Vladimir Poutine organise les mesures actives de la Russie

La Russie considère les « mesures actives » – les actions de lutte politique – comme une part essentielle de ses efforts pour influencer l’Europe. De telles mesures vont du soutien aux partis populistes à travers des campagnes de désinformation et d’espionnage, à la préparation d’une tentative de coup d’Etat au Monténégro. Un rapport du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR) évalue le degré de planification et de coordination de ces campagnes– et qui en est responsable.

L’étude trouve peu de preuves d’un « plan directeur » ou d’un système centralisé de commandement et de conduite. Le Kremlin fixe plutôt des objectifs généraux visant à affaiblir l’Union européenne et l’OTAN, et à éloigner l’Europe des Etats-Unis. Ces objectifs sont ensuite poursuivis par une gamme d’acteurs étatiques ou non, désireux de plaire au Kremlin, et le gouvernement lui-même y contribue parfois. Cela a été le cas lors de la tristement célèbre « Affaire Lisa » en 2016, quand des informations initialement diffusées sur les réseaux sociaux en Allemagne ont ensuite été reprises par les médias russes, et finalement citées par le ministre des Affaires étrangères russe.

Cependant, d’autres affaires sont la preuve d’une direction plus manifeste. Le conseiller de presse du président, Dimitri Peskov, rencontre les rédacteurs en chef des principales plateformes médiatiques gouvernementales chaque vendredi au Kremlin afin de définir les lignes et sujets attendus – et réclamés – pour la semaine à venir ; des « fermes à trolls » reçoivent des cibles et des éléments de langage quotidiens et hebdomadaires ; et des télégrammes du ministère des Affaires étrangères guident les activités des ambassades russes à l’étranger. De plus, les services de renseignement, à qui une marge de manœuvre considérable est laissée, travaillent en relation étroite avec l’autorité politique.

Quand de grandes campagnes sont lancées, elles ont tendance à passer par un large éventail d’instruments coordonnés entre eux. En 2016, par exemple, le Kremlin a lancé une campagne pour tenter de s’assurer que la Finlande ne rejoigne pas l’OTAN. Le rythme du trolling et de la désinformation hostiles s’est remarquablement accéléré ; Vladimir Poutine a fait allusion à des représailles si Helsinki faisait mouvement en ce sens ; et plusieurs heures après que la Finlande a signé un pacte de coopération limitée en matière de défense avec les Etats-Unis, des avions de guerre russes ont été soupçonnés d’apparaître dans l’espace aérien finlandais.

Dans la mesure où il y a coordination et conduite, le rapport montre que l’Administration présidentielle est l’institution-clé à travers laquelle passent les demandes pour l’approbation de ces opérations majeures, et qui donne les ordres. Le premier directeur adjoint de  cabinet, Alexeï Gromov, responsable des affaires internationales et des médias, et sous le coup de sanctions américaines et européennes pour son rôle dans l’annexion de la Crimée en 2014, joue probablement un rôle capital, mais presque tous les départements de l’Administration présidentielle sont impliqués d’une manière ou d’une autre.

Ainsi, le rapport recommande de faire de l’observation de l’Administration présidentielle une priorité pour les gouvernements européens – supposant un investissement important dans des capacités d’analyse. Puisque la plupart des actions obtenant le feu vert ou un soutien a posteriori sont des initiatives lancées par des acteurs spécifiques – allant des hommes d’affaires aux entreprises -, identifier et cibler ces individus doit également devenir une priorité.

Par ailleurs, le rapport expose les grandes lignes des différents objectifs stratégiques que Moscou poursuit dans chacun des pays européens, selon leur force institutionnelle et leur exposition à la Russie. Ainsi, il est essentiel de comprendre qu’aucune réponse uniforme n’est appropriée, et que la construction de capacités institutionnelles est aussi importante pour répondre aux ingérences russes que des mesures plus directes telles que les investissements dans le contre-espionnage et la lutte contre la désinformation.

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