Un sommet Trump-Poutine ? Allons-y !

L'amitié longue distance pourrait bien vaciller quand les deux parties se rencontreront en personne.

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L'amitié longue distance pourrait bien vaciller quand les deux parties se rencontreront en personne.

Comme on pouvait s’y attendre, la perspective d’un sommet à Reykjavik entre Donald Trump et Vladimir Poutine – évoqué dans le Times de Londres, puis démenti par le futur porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer – cause bien des inquiétudes en Europe. Donald Trump abandonnera-t-il l’Ukraine en échange de plus de coopération en Syrie (ou d’une simple promesse de rapports plus amicaux) ? Vladimir Poutine s’emparera-t-il de l’opportunité pour créer la surprise et essayer d’éloigner les Etats-Unis de l’Europe ? Les conséquences négatives sont nombreuses et indéniables. Cependant, il y a des raisons moins évidentes d’être enthousiaste à l’idée de cette rencontre – et d’espérer qu’elle ait lieu le plus rapidement possible. Pour le dire simplement, qu’ils se rencontrent et qu’ils échouent.

Comment se faire des amis et influencer les gens

Lors du sommet original de Reykjavik de 1986, le Président Ronald Reagan et le Secrétaire Général Mikhaïl Gorbatchev s’étaient rapprochés d’un accord historique sur la réduction du stock de missiles nucléaires. Donald Trump n’est pas Ronald Reagan – sauf peut-être dans son désintérêt des menus détails de la bureaucratie – et Vladimir Poutine n’est certainement pas Mikhaïl Gorbatchev. Mais c’est précisément pour cette raison qu’une rencontre pourrait se révéler être une aubaine pour l’Europe.

Pour Vladimir Poutine, la plus grande vertu de Donald Trump à l’heure actuelle est qu’il n’est pas Hillary Clinton, que le Kremlin considère comme son ennemie jurée. Il est plus difficile de savoir ce que Vladimir Poutine peut bien représenter pour Donald Trump : un allié potentiel contre la Chine, ou simplement un modèle de chef exécutif autoritaire et macho avec lequel il peut faire affaire.

Mais lorsqu’ils se rencontreront, ce sera en tant que personnes, et non en tant que concepts. Et il est peu probable que leur lune de miel actuelle survive à un contact prolongé. Les deux hommes se considèrent comme des mâles dominants et sont prêts à tout pour essayer d’affirmer cette domination. Vladimir Poutine est célèbre pour faire attendre ses interlocuteurs, tandis que Donald Trump aime monopoliser la parole pendant les réunions. Aucun des deux n’est habitué à avoir des rivaux, ni ne les apprécie.

En même temps, Vladimir Poutine est connu pour sa maîtrise du sens du détail durant les sommets, et recherche sérieux et professionnalisme chez ses interlocuteurs. Donald Trump, de son côté, semble s’appuyer sur des déclarations improvisées, qu’il renie après coup.  Cette caractéristique pourrait bien nourrir l’une des bêtes noires de Vladimir Poutine : sa conviction – justifiée ou non – selon laquelle l’Occident est faux et hypocrite.

En d’autres termes, l'amitié longue distance pourrait bien vaciller quand les deux parties se rencontreront en personne. Vladimir Poutine considèrera-t-il Donald Trump comme une personne sans envergure à ne pas prendre au sérieux ? Donald Trump aura-t-il l’impression que Vladimir Poutine ne fait pas preuve du respect nécessaire à son égard ?

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Un sommet forcera aussi les deux camps à dévoiler leur jeu. Et il y a des raisons de douter que l’un des deux camps aura quelque chose d’intéressant et de réalisable à offrir.

Donald Trump a suggéré que certaines des sanctions pourraient être levées en échange d’une coopération sur les armes nucléaires et l’Etat islamique. Mais les ambitions de Vladimir Poutine sont bien plus grandes. Mis à part les rumeurs sensationnelles du « Dossier Trump », il est peu probable que le Kremlin pense vraiment pouvoir contrôler le Président des Etats-Unis. Mais ce que cherche Vladimir Poutine est très clair : un nouveau Yalta qui légitime la domination de la Russie sur l’Europe de l’Est, une reconnaissance de son annexion de la Crimée et la levée de toutes les sanctions.

De son côté, Vladimir Poutine doit encore formuler une contre-proposition pertinente qui portera très certainement sur la levée des sanctions alimentaires en représailles, ce qui, dans tous les cas, toucherait grandement l’Europe. Et, en vérité, la Russie n’a d’autre chose à offrir aux Etats-Unis que des propositions négatives. Elle peut promettre d’arrêter d’interférer dans les élections en Europe, mais cela n’a que peu d’importance pour ce président des plus étroits d’esprit. Elle peut être moins un obstacle à la politique américaine au Moyen-Orient, ou suspendre des initiatives qui pourraient être problématiques, telles que le soutien au chef de guerre rebelle libyen, Khalifa Haftar.

Mais Moscou ne peut pas se permettre de devenir l’allié ou l’intermédiaire de Washington dans une quelconque rivalité géopolitique ou économique avec Pékin. Elle partage une frontière avec la Chine bien trop longue et est bien trop dépendante de son commerce et de ses investissements. En grande partie pour les mêmes raisons, elle ne peut pas non plus réduire sensiblement ses forces nucléaires, puisque leur rôle réel est de plus en plus d’être une garantie contre une future résurgence de la Chine.

C’est parti !

Les prochaines années promettent d’être turbulentes et inconfortables. L’apparente insouciance de Donald Trump envers l’interférence de la Russie en Ukraine et au-delà, son enthousiasme pour une politique « America First » et des barrières tarifaires, et son acharnement contre sa propre communauté du renseignement -et leur apparente volonté d’aller contre lui -, tout cela semble donner du pouvoir à ceux qui, à Moscou, voient les effets positifs de l’agression. Mais tous les défis sont maîtrisables. Et l’actuel nuage de suppositions, d’attentes, de rumeurs et de battage médiatique qui entoure la Présidence Trump risque de se faire au détriment de l’Europe.

Alors, laissons la réalité de la relation entre Donald Trump et Vladimir Poutine être testée le plus vite possible. Si la Russie échoue à jouer le rôle qui lui a été assigné dans la téléréalité présidentielle, si Vladimir Poutine échoue à lier un contact humain avec lui, si Donald Trump finit par voir Moscou comme un problème plutôt qu’un partenaire potentiel, alors le Kremlin pourrait bien regretter le rôle qu’il a joué dans son élection, quel qu’il ait été.

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