Sauver l’internationalisme britannique après le Brexit

Les diplomates britanniques vont avoir besoin de sang froid dans les semaines et mois qui viennent.

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Cet article fait partie de notre série « Le Royaume-Uni en Europe »

Les diplomates britanniques vont avoir besoin de sang froid dans les semaines et mois qui viennent. Leurs dirigeants sont plongés dans un désarroi profond depuis le vote en faveur du Brexit fin juin.  Au moins un été d’incertitude pointe à l’horizon tandis que les responsables à Londres et à Bruxelles tentent de s’entendre sur la meilleure manière de négocier leur divorce. Pendant ce temps, le Royaume-Uni va aussi devoir faire face à des questions particulièrement déplaisantes quant à son rôle futur au sein du système international, et non pas seulement en Europe.

En l’absence d’un véritable leadership politique, il revient aux représentants britanniques à l’OTAN, aux Nations Unies et dans les principales capitales européennes de rassurer leurs homologues étrangers sur le fait que le Royaume-Uni continuera à être un acteur constructif en politique étrangère pendant et après les négociations du Brexit. Malgré leur irritation envers Londres, les autres diplomates européens auront aussi intérêt à maintenir l’activité internationale du Royaume-Uni.

Jusqu’au référendum, le Royaume-Uni constituait un rempart plus ou moins solide du système international. Quels que soient ses défauts, il faut reconnaître à David Cameron qu’il a su défendre le rôle mondial du Royaume-Uni. Pendant son premier mandat, le Parlement a inscrit l’engagement britannique de consacrer 0,7 pourcent de son produit national brut à l’aide au développement, et a atteint cet objectif en pratique. Après avoir obtenu la majorité aux élections de l’année dernière, les conservateurs se sont engagés à dépenser 2 pourcents du produit intérieur brut pour la défense, de façon à maintenir le potentiel militaire du Royaume-Uni, y compris pour des missions expéditionnaires. Pour ce qui est de l’aide humanitaire, le Royaume-Uni reste tout autant un acteur clé, qui a dégagé de l’argent supplémentaire pour des crises comme en Syrie, et ce sont des responsables britanniques qui dirigent le Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies depuis 2007.

Aujourd’hui, il est probable qu’un départ de l’Union européenne (UE) provoque des difficultés économiques susceptibles de remettre en question ces engagements financiers sur la défense et l’aide.  Le camp du « out » a proclamé son amour des forces armées britanniques pendant la campagne (et a proféré des absurdités sur la menace d’une « armée européenne »). Pour autant, si une fois au pouvoir il devait faire face à une contraction de l’économie consécutive au Brexit, il donnerait sûrement la priorité au système de santé ou à d’autres dépenses publiques, au détriment de la défense.

L’aide humanitaire et au développement en faveur de l’étranger est encore plus menacée. Bien des responsables politiques, des journaux et desélecteurs qui ont soutenu le Brexit pensent que dépenser de l’argent pour des étrangers pauvres tient du gâchis. Juste après le référendum, le Sun exigeait d’ailleurs que le gouvernement réaffecte les fonds consacrés à l’aide internationale afin de « consacrer des milliards pour équiper NOS communautés des infrastructures nécessaires pour faire face à une démographie galopante. » Près de 250 000 personnes ont signé une pétition en ligne appelant à l’abrogation de la loi qui a consacré l’objectif de 0,7 pourcent du PIB alloué à l’aide au développement. Il n’est pas impensable qu’un futur gouvernement pro-Brexit opère de façon populiste des coupes draconiennes dans le budget de l’aide au développement.

Si le Royaume-Uni devait faire marche arrière sur ses engagements en faveur de la défense et laisser son appareil militaire s’amoindrir, il perdra de son pouvoir d’entraînement au sein de l’OTAN. De même, s’il abandonne son leadership en matière de développement international, cela sacrifiera une large part de son influence au sein de l’ONU – même si son siège permanent au Conseil de Sécurité n’est pas menacé, du fait des difficultés à atteindre un accord sur la réforme de la Charte des Nations Unies.

Quitter l’UE est synonyme d’une perte d’influence diplomatique plus large pour le Royaume-Uni. Il lui sera plus difficile d’utiliser le levier collectif qu’offre l’UE pour faire face situations internationales délicates. Pour ne mentionner qu’un exemple, M. Cameron avait, très à propos, fait de la stabilisation de la Somalie une priorité pour son pays, et le Royaume-Uni a jusqu’à présent eu l’initiative sur ce dossier au Conseil de Sécurité. Mais si le Royaume-Uni a pu jouer ce rôle, c’est parce que l’UE dans son ensemble avait débloqué une aide financière massive pour l’opération de paix menée par plusieurs pays africains, tandis qu’elle déployait trois différentes missions de sécurité de l’UE en parallèle pour soutenir les forces de défense somaliennes et combattre la piraterie au large des côtes. Le Royaume-Uni aura du mal à conserver l’initiative politique sur la Somalie au sein de l’ONU s’il n’est plus en mesure d’asseoir sa stratégie sur des financements européens.

Il sera tout aussi difficile pour le Royaume-Uni de défendre et promouvoir ses intérêts quand l’UE adoptera des sanctions, définira les priorités de son aide au développement et humanitaire, négociera ses accords de libre échange ou participera aux forums internationaux pour maîtriser les ventes d’armes ou les émissions de gaz à effet de serre. Le Royaume-Uni avait par exemple joué un rôle clé dans l’adoption d’objectifs ambitieux pour l’UE en vue de la conférence sur le climat de l’année dernière à Paris. A l’avenir, il pourrait être tout juste en mesure d’encourager ses voisins à prendre l’environnement au sérieux.

Le Royaume-Uni est ainsi en passe de devenir un acteur plus modeste, plus faible et plus avaredans le concert des nations. Toutefois, bien que les présages pour l’après-Brexit soient bien sombres, ils ne restent pour l’instant que des hypothèses. Les partisans libéraux de la campagne du « out » soutenaient qu’ils voulaient quitter l’UE pour que le Royaume-Uni puisse être un acteur libre dans un monde en pleine évolution. Si les futurs dirigeants du pays veulent réellement d’un Royaume-Uni impliqué dans le monde plutôt qu’isolationniste et chauvin, ils devront continuer à contribuer à la stabilité internationale à travers l’ONU, l’OTAN et d’autres canaux encore, et dégager les moyens financiers pour le faire.

Il faudra plusieurs élections et crises intérieures comme internationales pour savoir si le Royaume-Uni y parviendra ou pas. Mais, d’ici-là, les dirigeants britanniques devront persuader les autres puissances qu’un retrait britannique de la scène internationale n’est pas inéluctable et que, dans de nombreux domaines, ses politiques pourront être pérennisées.

Il est assez simple d’accréditer le sentiment d’une continuité sur les priorités en matière de sécurité européenne, par exemple la défense des Etats baltes contre une éventuelle attaque russe. Le sommet de l’OTAN de début juillet à Varsovie constitue une belle opportunité pour David Cameron – qui compte toujours y participer – de souligner le maintien de l’engagement britannique dans l’Alliance. Le Royaume-Uni a déjà promis 1 000 soldats pour constituer une force « sonnette d’alarme » en Europe orientale aux côtés de contingents américains et allemands. Bien que l’intérêt militaire de cette offre soit sujet à caution, il est aujourd’hui impératif politique pour Cameron de la confirmer. Il serait utile que les candidats à sa succession à la tête des conservateurs fassent des déclarations dans le même sens en amont du sommet de Varsovie. Il est sans doute vain d’espérer que le travailliste Jeremy Corbyn en fasse autant, connaissant son dégoût pour les questions touchant à  l’OTAN.

Il n’existe pas d’échéance comparable pour que le Royaume-Uni puisse souligner son engagement envers l’ONU dans les prochaines semaines. Les prochains évènements politiques majeurs sur le calendrier de l’ONU sont tout d’abord un sommet en septembre à Londres  en présence des ministres de la défense pour appuyer les opérations de paix sous casques bleus, puis le cirque annuel de l’Assemblée générale de l’ONU à New York peu de temps après. Sachant que M. Cameron a affirmé son intention de passer la main à son successeur avant la conférence du parti conservateur le 2 octobre (et que les responsables du parti ont indiqué que cette désignation devrait être conclue dès le 2 septembre), ces deux événements pourraient coïncider précisément avec la sélection du nouveau Premier ministre.
 
Le sommet de Londres sur le maintien de la paix ne sera pas un événement d'une portée historique mondiale : il mettra principalement en scène des ministres de la défense égrenant des statistiques sur l'envoi d'ingénieurs dans des pays africains que la plupart connaissent peu. Cependant M. Cameron a accepté d'accueillir ce sommet à la demande du président Obama, qui avait organisé un événement similaire à New York l'an passé. Si son successeur est nommé d’ici ce sommet, ce n’en sera pas moins une excellente occasion pour elle ou lui de parler des devoirs du Royaume-Uni en matière de sécurité collective.
 
La session de haut niveau de l'Assemblée générale, qui débutera le 20 septembre, pourrait être une occasion plus importante encore pour que le prochain Premier ministre puisse rassurer ses homologues quant à l'avenir du Royaume-Uni sur la scène internationale. En termes diplomatiques, il serait bon que le nouveau dirigeant puisse profiter de son intervention à la tribune de l’ONU pour convaincre de ce que le Royaume-Uni restera un acteur important sur la scène internationale, même si le nouveau Premier ministre voudra probablement garder ses meilleures formules pour la conférence du parti tory qui suivra dans la quinzaine.
 
L'Assemblée générale sera toutefois aussi l’occasion d’un sommet parallèle organisé par le président Obama sur les migrations et les réfugiés. Il sera attendu de chaque participant qu’il promette d’accueillir plus de réfugiés (pas précisément le genre de propos que l'électeur moyen en faveur du Brexit veut entendre) ou qu’il offre d'autres formes d'assistance. De très nombreux dirigeants seront présents. Si le Britannique n’assiste pas à cet événement, cela serait perçu comme un signal fort de la transformation du Royaume-Uni en « Petite Angleterre ». Les services du Premier ministre et le Foreign Office devront forcer l’administration de Whitehall à constituer un paquet de mesures d’aide pour les réfugiés suffisamment consistant pour pouvoir être promu à l'ONU en Septembre, quelle que soit la personne qui y représentera le Royaume-Uni – ce serait un moyen extrêmement utile de montrer que le Royaume-Uni n’est pas totalement replié sur lui-même.
 
Mais si les diplomates britanniques veulent projeter une image de continuité et de stabilité, ils auront besoin de l'aide de leurs amis internationaux, et de leurs alliés européens en particulier.
 
Dans le cas du Conseil de l'Atlantique Nord comme du Conseil de sécurité, il est essentiel que la France en particulier indique qu’elle continuera à collaborer étroitement avec le Royaume-Uni sur les questions de sécurité. Au cours des dernières années, Paris et Londres se sont chamaillées sur certaines questions multilatérales (notamment l'insistance de la France sur le lancement des opérations de paix de l'ONU dans les anciennes colonies telles que la République centrafricaine) ; mais elles ont généralement accompli beaucoup plus sur la scène diplomatique lorsque, comme en 2011 pour la Libye, elles ont travaillé en étroite collaboration.
 
Même si le Royaume-Uni est une puissance amoindrie après le Brexit, Paris aura toujours besoin de son soutien à l'ONU, en particulier pour la diplomatie délicate à mener au sein du Conseil de sécurité vis-à-vis de la Chine, de la Russie et des États-Unis. L’Allemagne, dont l’intérêt pour les questions onusiennes a augmenté ces dernières années, mais qui a encore beaucoup moins d'influence à l’ONU que le Royaume-Uni ou la France, a également de bonnes raisons de s’assurer que le Royaume-Uni reste un allié proche à New York.
 
Il y a un an, l’ECFR suggérait que les Britanniques, les Français et les Allemands devraient plus souvent s’occuper des questions difficiles à l'ONU en format « E3 », sur la base de ce qui a si bien fonctionné dans les négociations avec l’Iran. Il serait pertinent pour les représentants permanents des « E2 + 1» auprès de l'ONU à New York et à Genève, rejoints peut-être par les chefs des délégations de l'UE dans ces deux villes, de mettre en place des groupes de travail informels pour coordonner les initiatives politiques de façon à réduire l’impact du Brexit sur ​​leurs priorités communes.
 
Ce genre de mécanismes diplomatiques ne peuvent qu’atténuer les dommages politiques que le Brexit a produit, et continuera à produire, sur la réputation internationale du Royaume-Uni. Si les turbulences politiques des prochains mois profitent in fine au UKIP et aux courants les plus tapageurs du parti conservateur, il sera impossible de préserver le statut du Royaume-Uni en tant que puissance internationaliste raisonnable et engagée. Dans ces circonstances, les diplomates britanniques auraient tout intérêt à renoncer à représenter l'intérêt national à Bruxelles ou à New York, pour plutôt utiliser leurs excellents contacts internationaux pour trouver du travail dans le secteur privé loin de Londres.

En revanche, dans un scénario où les futurs dirigeants britanniques admettent que le maintien de l’internationalisme traditionnel de leur pays va dans le sens de l’intérêt national – et en outre se rendent compte que cela implique un approfondissement de la coopération avec les alliés européens au sein de l’OTAN, de l’ONU et au-delà – il existe des mécanismes diplomatiques pour gérer les retombées du Brexit sur la scène internationale, ou au moins pour que le Royaume-Uni apparaisse comme une puissance qui a fini par accepter une fois pour toute la perspective de son propre déclin. 

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