Les mille et une ressources de « l’Etat islamique »

L'offensive des huit cents hommes de Daech sur la cité de Mossoul n'est que l'ultime étape d'un plan de conquête visant à créer un émirat sunnite au-delà des frontières du Moyen-Orient contemporain.

Cet article a initialement été publié dans Les Echos.

 

La guerre éclair lancée par les combattants de l'Etat islamique d'Irak et du Levant (ou Daech, l'acronyme arabe) ces dernières semaines, et qui a conduit à la prise de pans entiers du territoire par le groupe, a créé surprise et effroi en Occident. Or celle guerre obéit à une stratégie pensée de longue date. L'offensive des huit cents hommes de Daech sur la cité de Mossoul n'est ainsi que l'ultime étape d'un plan de conquête visant à créer un émirat sunnite au-delà des frontières du Moyen-Orient contemporain, prélude à la restauration du califat, et qui suppose pour les djihadistes la suppression de l'islam chiite et de ses fidèles dans la région.

Depuis octobre 2006 et l'annonce de leur projet, les djihadistes ont bien compris que leur crédibilité dépendrait du parachèvement tangible de leur Etat, passant par le recrutement d'hommes, la conquête de territoires et l'acquisition de nouvelles ressources. Ils ont donc développé une véritable économie de guerre, à travers laquelle la rente et son contrôle sont deux aspects fondamentaux de leur stratégie. Depuis la période d'occupation américaine (2003-2011), Daech a fait main basse sur la contrebande et un certain nombre de puits de pétrole en Irak et en Syrie, à l'origine de vifs conflits avec les autres acteurs locaux.

En 2007, la décision des tribus sunnites d'Irak de se rapprocher des Américains contre Daech avait ainsi procédé de motivations principalement économiques : récupérer le contrôle du trafic énergétique le long de la route reliant Amman à Bagdad et que Saddam Hussein leur avait concédé au cours des années 1990 en retour d'une sécurisation des frontières du pays. Sous le poids du racket et du régime de terreur imposé par les djihadistes, les citoyens plus ordinaires avaient rejoint la mobilisation. Les gains sécuritaires alors réalisés ont néanmoins été de courte durée, permettant à Daech de poursuivre son projet et de s'exporter vers la Syrie dès le début du soulèvement anti-régime en 2011.

De ce point de vue, le contrôle du nord de l'Irak, deuxième région la plus riche en hydrocarbures autour des villes de Kirkouk et de Mossoul, est d'une nécessité quasi existentielle pour Daech, qui s'est d'ailleurs replié sur sa base irakienne à la suite des combats fratricides l'ayant opposé, dans le nord-est de la Syrie, aux factions djihadistes plus modérées. Daech vise aussi bien les puits de pétrole que les infrastructures et installations, stratégie mise en exergue par l'assaut récent sur la raffinerie de Baïji, la plus grande d'Irak. Chaque puits contrôlé assurerait au groupe des millions de dollars par jour, sans difficulté de revente, tantôt au régime d'Al Assad en Syrie, tantôt sur les marchés internationaux.

A l'exploitation du pétrole s'ajoute un éventail d'autres activités illicites et de donations privées en provenance du Golfe, notamment, qui font de Daech un mouvement aujourd'hui autosuffisant. La première est le pillage des régions et plus particulièrement des banques comme celle de Mossoul, où se trouvaient une quantité considérable d'or et un butin de 466 millions de dollars. Pareille fortune renforce la capacité des djihadistes et facilite l'achat d'armes lourdes, pour l'essentiel de Syrie, de soudoyer les autorités provinciales, les tribus, et de recruter encore plus de combattants – Daech a la réputation d'être le groupe qui rémunère le mieux ses membres… Viennent ensuite le trafic d'antiquités, le prélèvement de l'impôt sur les commerces locaux et les extorsions diverses, en particulier celle des minorités en échange de leur protection supposée.

Avec plus de 2 milliards de dollars à son actif, Daech est actuellement la plus riche faction terroriste au monde, loin devant Al Qaida central, sa plate-forme originelle dont il s'est délibérément distancé, et la mouvance des talibans.

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