La méthode Macron

Le président français doit engager l’Europe dans une troisième voie pour offrir à l’Union l’opportunité de dépasser les conflits internes qui ont précipité sa désintégration.

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Le président français doit engager l’Europe dans une troisième voie pour offrir à l’Union l’opportunité de dépasser les conflits internes qui ont précipité sa désintégration.

L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République française offre à l’Union européenne (UE) l’opportunité de dépasser les conflits internes qui ont précipité sa désintégration. Plutôt que d’œuvrer exclusivement aux côtés des vieilles élites ou des nouveaux acteurs populistes, Macron a promis de rallier un large soutien politique sous la bannière d’une réforme de l’Europe. Mais pourra-t-il conférer un nouveau souffle à un projet en difficulté ?

Car si de nombreux dirigeants de l’UE ont été soulagés de voir Macron élu, c’est souvent parce qu’ils espèrent qu’il apportera un nouvel élan au vieux projet, plutôt qu’une rupture radicale par rapport au passé. Pour opérer un changement réel, Macron devra transcender ces deux modèles politiques à la fois contradictoires et complémentaires qui définissent la gouvernance de l’UE depuis une dizaine d’années : la technocratie et le populisme.

Au fil des années, les décisions de l’UE se sont déconnectées des politiques nationales pour être guidées tout autant par la logique institutionnelle de l’UE que par les intérêts des Etats membres. Elles sont aujourd’hui régies par des codes rigides auxquels les Etats membres sont tenus d’adhérer, même lorsque leur gouvernement ou leurs électeurs s’y refusent.

Ces tendances ont alimenté le sentiment que l’Europe est gouvernée par des élites peu préoccupées par les intérêts des citoyens qu’elles sont censées représenter, et qu’aucune autre forme de gouvernance n’est possible.

Les négociations autour du Brexit se sont d’ores et déjà changées en champ de bataille entre technocrates et populistes, chaque camp luttant pour un dénouement susceptible d’appuyer son discours. Lorsque la première ministre britannique, Theresa May, a expliqué vouloir « faire du Brexit un succès », elle a déclenché l’alarme à Bruxelles, Paris et Berlin, dans la mesure où un tel « succès » pourrait donner des idées aux autres mouvements populistes anti-UE.L’explosion populiste de ces dernières années est une réaction naturelle à cette forme de technocratie déconnectée. Ce n’est pas un hasard si Marine Le Pen en France, Geert Wilders aux Pays-Bas, Viktor Orban en Hongrie, Nigel Farage au Royaume-Uni, se sont tous présentés comme les représentants du « peuple ». Au moyen de leur outil politique favori qu’est le référendum, ils sont parvenus à porter préjudice au traité constitutionnel de l’UE, à l’accord d’association UE-Ukraine, aux conventions de rapatriement des réfugiés et, avec le Brexit, à la composition de l’UE elle-même.

Plusieurs membres du gouvernement allemand entendent travailler avec le président français pour contrecarrer un tel scénario en rendant le Brexit peu attrayant. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, a lui aussi récemment déclaré : « Le Brexit démontrera qu’il est beaucoup plus souhaitable pour un Etat d’être membre de notre Union. »

Malheureusement, cette stratégie a tendance à faire ressurgir les pires instincts des dirigeants européens, notamment parce qu’elle les incite à lutter pour le statu quo plutôt que pour la réforme et l’innovation. Si l’UE ne rompt pas avec un tel nombrilisme, les cinq prochaines années se révéleront aussi stériles et improductives que les années passées.

En effet, la question majeure est aujourd’hui de savoir si l’Europe peut accepter la bouée de sauvetage que lui tend Macron et si elle peut s’ouvrir à un nouveau projet, plutôt que de renouer avec les vieilles querelles.

Certes, de nombreux observateurs moquent la tendance de Macron à refuser de prendre véritablement parti dans quelque débat que ce soit, ironisant sur le fameux « en même temps » qui ponctue chacun de ses débuts de phrase. Pour autant, dans une UE depuis longtemps paralysée, les grandes propositions qu’il formule peuvent offrir une voie d’avenir, fondée non pas sur des changements institutionnels, mais sur des compromis politiques.

Lors de sa rencontre avec la chancelière allemande, Angela Merkel, Macron a proposé de mettre un terme à la quasi-guerre froide qui oppose le nord et le sud de l’Europe, à savoir les partisans de l’austérité et ceux des politiques de croissance, en échangeant des réformes contre des investissements.

Sa rencontre avec le président russe, Vladimir Poutine, lui a offert l’opportunité d’atténuer la division entre l’est et l’ouest de l’UE quant à l’attitude à observer vis-à-vis de la Russie. De même, il entend accueillir davantage de réfugiés, tout en préconisant la création d’une force de 5 000 gardes-frontières et en accélérant le rapatriement des migrants illégaux.

Si Emmanuel Macron se montre à la hauteur, il ne défendra ni la technocratie ni le populisme, mais une véritable troisième voie. Il n’est pas impossible qu’il confère une nouvelle signification à ce terme galvaudé s’il parvient à combiner plutôt qu’à accepter les divergences actuelles. Pour mettre un terme à la paralysie des dix dernières années, il n’existe de toute façon aucune alternative.

Ce commentaire a d'abord été publié en anglais sur ProjectSyndicate.com sur 29 mai 2017.

Il a ensuite été traduit et publié dans Le Monde le 31 mai.

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