La leçon de 2016 : comment lutter contre le déclin de l’Union européenne

Le processus de prise de décision en Europe doit désormais se dédier avec dévotion à l’impartialité.

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L’année 2016 a vu l’Europe tituber de crise en crise ; jusqu’à frôler par moment la désintégration. Une monnaie unique biscornue, une jeunesse européenne frappée de plein fouet par le chômage, des dissensions qui prennent le pas sur nos valeurs communes, et une montée en puissance de partis populistes virulents mettent l’Union à mal ; après le Brexit, allons-nous assister à un Grexit, ou un Frexit ?

Ce sentiment de fatalité rampant ne rappelle-t-il rien ? Les parallèles avec les années tumultueuses qui ont précédé la Première guerre mondiale sont saisissants. Ces ressemblances avaient été relevées par l’historien Philipp Blom en 2008 dans « Les Années Vertiges » : « A cette époque comme aujourd’hui, les changements rapides en matière de technologie, de mondialisation, de technologies de communication et de tissu social dominaient les conversations et faisaient la une des journaux ; à cette époque comme aujourd’hui, les cultures de consommation de masse laissaient leur marque dans le temps ; à cette époque comme aujourd’hui, nous étions submergés par le sentiment de vivre dans un monde qui tournait trop vite, qui se précipitait vers l’inconnu ».

En effet, l’effondrement de l’ordre établi est l’un des grands thèmes de l’année 2016. Les deux piliers de la politique étrangère allemande – l’Union européenne (UE) et la coopération transatlantique – ont commencé à s’effriter à quelques mois d’intervalle. Le premier en raison du référendum britannique et de la menace de désintégration qu’il a jeté ; le second à la suite de l’élection d’un président américain dont l’imprévisibilité fait l’unanimité avant même sa prise de fonction.

 Après le soulèvement populaire mémorable de 1989 et la chute du Mur de Berlin, les Etats européens ont dépensé une immense partie de leur capital social et politique dans la construction d’une union politique, permettant ainsi une unification progressive du continent. 25 ans plus tard, la question est de savoir si l’Union pourra triompher.  C’est un revirement stupéfiant de l’énergie positive des années 1990, exacerbé, sans nul doute, par la crise financière mondiale et ses conséquences. Avec du recul, il apparait clairement que l’Union est responsable de son propre sort : la décision de faire du marché unique un projet politique a conduit à trop étendre les capacités des Etats membres de l’UE.

A la lumière de ces développements, l’Allemagne a tout de même continué à faire de l’Union européenne sa référence essentielle tout au long de l’année 2016. En effet, le soutien véhément et explicite de l’Allemagne à l’Europe est essentiel pour la survie de l’Union, et les politiques allemands le savent pertinemment comme en témoigne leur insistance pour aborder les questions de sécurité et de politique étrangère dans le cadre de l’Union européenne. Les détracteurs qui y voient une approche naïve – comme si l’Union était capable de quoi que ce soit en matière de sécurité européenne ! – ne comprennent pas le sens des efforts allemands. Les systèmes fédéraux comme celui de l’UE ne meurent pas dans une explosion retentissante – au contraire, ils se décomposent lentement et se retrouvent vidés de leur substance politique et énergique jusqu’à ce qu’ils ne soient plus que l’ombre de ce qu’ils étaient. Ce scénario pourrait voir le jour avec le retour à l’isolationnisme et du nationalisme tel qu’on a pu le voir dans différents Etats membres, ou à travers le blocage permanent de la capacité d’action commune de l’Union. Les Etats seraient alors obligés de trouver d’autres formes de coopération et de collaboration, faisant de l’Europe une entité obsolète et privant les stratèges allemands de leur axe de référence principal.

Ce dont le processus de prise de décision en Europe a maintenant besoin, c’est d’une nouvelle dévotion à l’impartialité, ce qui permettrait de l’extirper de son mode réactionnaire actuel. 2017 pourrait être le moment de vérité de l’Union européenne. Si elle s’affirme, elle pourrait retrouver sa force et sa capacité de résistance. Mais pour cela, elle doit faire fi des idées reçues. La politique européenne n’est pas qu’apparences, technocraties délicates ou bienséances moralisatrices, mais bel et bien de la politique, avec tout ce que cela implique : du concret et des détails pratiques.

Cette façon de faire de la politique n’est pas très périlleuse en soi ; le vrai danger est plutôt dans le cas où le système de l’UE ne parvient pas à créer des majorités pour concevoir ses politiques, comme c’est le cas actuellement. Car cela conduirait à produire toujours plus de médiocrité, à rejeter le potentiel d’action de l’Europe, et à accélérer la marche de l’Union vers sa prochaine – et potentiellement fatale – crise.

 

Cet article a d’abord été publié en allemand dans la série « feuilleton politique » du journal Deutschlandradio Kultur.

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