L’Allemagne doit affirmer son rôle de leader en politique étrangère

Le peuple allemand est prêt pour une plus grande implication internationale, si le gouvernement allemand peut faire l'affaire.

Le 1er septembre dernier, le Bundestag (Parlement allemand) a débattu de la décision du gouvernement fédéral de fournir des armes au gouvernement autonome kurde dans le nord de l’Irak pour les aider à se battre contre l’Etat Islamique. Rares ont été les personnalités politiques allemandes qui n’ont pas fait le lien avec les événements qui se sont passés il y a 75 ans – le bombardement du poste d’artillerie polonais près de Gdansk par la Marine allemande le 1 septembre 1939, déclenchant la seconde guerre mondiale. La Chancelière Angela Merkel, et tous ceux avec qui elle a débattu, ont utilisé le souvenir de cette agression allemande pour justifier ou critiquer la politique actuelle.

Malgré les dizaines d’années qui se sont écoulées depuis la fin de la guerre, lorsque les décideurs politiques allemands veulent partager la responsabilité des relations internationales, cela se solde systématiquement par des conflits. En Allemagne, les discours politiques évoluent progressivement pour finir par s’accorder sur le fait qu’en politique étrangère, les choix cruciaux sont toujours accompagnés d’incertitudes et que, même si elles sont suivies de conséquences indésirables, ces décisions ne peuvent pas être évitées.

La plupart des Allemands restent critiques vis-à-vis des interventions militaires

Le fait d’essayer d’aligner leurs arguments sur l’opinion publique n’aide pas beaucoup les décideurs politiques. Une étude demandée par la Fondation allemande Körber montre plus tôt dans l’année que 51% des Allemands préfèrent la recherche de la paix au niveau international et deux tiers pensent que la protection de droits de l’Homme est un objectif clé de la politique étrangère allemande. Toutefois, la plupart des Allemands restent critiques vis-à-vis des interventions militaires : 82% veulent que la Bundeswehr – armée nationale allemande – conduise moins de missions militaires. Ils sont autant à vouloir que l’Allemagne exporte moins d’armes – un nombre remarquablement haut dans un pays qui est devenu au cours des dix dernières années le troisième fournisseur d’armes mondial, après les Etats-Unis et la Russie.

Dans le cas où une grande majorité d’Allemands approuverait l’envoi de troupes allemandes à l’étranger, les chiffres sont encore plus contradictoires. Dans l’étude de la Fondation Körber, 87% des personne’s interrogées indiquent qu’ils soutiendraient des missions extérieures visant à contrer une menace directe contre la paix et la sécurité en Europe ; et 85% approuvent les missions humanitaires qui sécurisent l’acheminement de l’aide aux populations locales. Quatre-vingt-deux pour cent soutiendraient une mission visant à prévenir un génocide, 77% soutiendraient une action militaire pour mettre fin à la propagation des armes de destruction massive et 74% ont affirmé que l’Allemagne devrait participer à des missions de maintien de la paix reconnues internationalement.

Néanmoins, le soutien – en principe – à ces missions semble diminuer lorsqu’il s’agit de crises réelles. Des sondages récents montrent que 60% des Allemands ne veulent pas que leur pays fournisse des armes aux Kurdes d’Irak. Soixante-neuf pour cent veulent que l’Allemagne reste en dehors du conflit israélo-palestinien. Et, alors que 80% voient la Russie comme le responsable principal des événements dans l’Est de l’Ukraine, ils ne sont que 49% en faveur d’un durcissement des sanctions face aux effets négatifs que ça pourrait avoir sur l’économie allemande.

Les Allemands veulent être dirigés de manière responsable, plutôt que de devoir mener leurs dirigeants en demandant plus de responsabilités de leur part

L’Allemagne a besoin d’affirmer son rôle de leader pour combler ces incohérences dans l’opinion publique. La population allemande affiche un soutien clair, quoi que diffus, à un engagement plus fort. Les Allemands sont sans aucun doute sensibles aux menaces et aux conflits mais lorsque des choix spécifiques s’offrent à eux, ils ne souhaitent pas être impliqués. Evidemment, ils veulent être dirigés de manière responsable, plutôt que de devoir mener leurs dirigeants en demandant plus de responsabilités de leur part. Les Allemands semblent prêts à se laisser convaincre du besoin d’agir si toutefois les dirigeants osaient tenter de les convaincre. La décision du ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier de mettre en place un processus d’évaluation, impliquant une participation nationale et internationale est un premier pas dans cette direction. Ce processus pourrait être un outil de diplomatie publique qui permettrait de poser les bases d’un durcissement des débats en politique étrangère.

Dans ce contexte, la décision de la Grande Coalition de fournir des armes aux Kurdes va à l’encontre de la volonté habituelle des décideurs politiques allemands d’éviter de prendre ce genre de décision ou d’en débattre. Initialement, le gouvernement n’avait pas prévu d’organiser un débat parlementaire, probablement par peur des répercussions politiques qui restreindraient davantage le pouvoir exécutif. Mais après des jours de débats publics largement couverts par les médias, les parlementaires ont dû écourter leurs vacances pour assister à une session extraordinaire du Bundestag.

En dépit de ce revirement de situation et du débat qui a suivi, il est clair que les acteurs clés hésitaient à parler des risques encourus ou à expliquer pourquoi il fallait poursuivre la même politique, malgré ces risques. Cela souligne un défi que doivent relever les politiciens allemands : s’engager publiquement à faire des choix stratégiques de politique étrangère – ils doivent essayer de construire une base constitutionnelle pour un engagement plus important sur la scène internationale – et arrêter de prendre les obligations de l’Alliance ou le manque d’alternative à leur plan d’action privilégié comme excuse pour fuir les débats.

En partie à cause de Berlin, la capacité de l’UE à agir sur la scène internationale dépend grandement de la volonté et de la capacité de ses Etats membres à répondre aux crises

L’Allemagne doit relever ce défi si la défense de ses intérêts en Europe et dans le monde est en jeu. L’élite politique allemande aurait préféré renforcer les institutions de l’Union européenne et les laisser faire les choix qui s’imposent en politique étrangère. Mais cette option semble désormais obsolète. Au contraire, en partie à cause de Berlin, la capacité de l’UE à agir sur la scène internationale dépend grandement de la volonté et de la capacité de ses Etats membres à répondre aux crises. La façon dont Steinmeier appréhende le conflit en Ukraine montre que Berlin accepte les conséquences de l’incapacité de l’UE à entreprendre une action collective. Aujourd’hui, l’Allemagne ne pourrait plus prendre position de manière évasive comme elle l’avait fait pour la Libye, sans donner aucune justification.

Le décalage entre le rôle clé de l’Allemagne dans la crise de la zone euro et sa réticence à prendre part activement à la défense de l’ordre international est tel qu’il est difficile pour les décideurs politiques allemands d’affirmer leurs choix sur les questions européennes et internationales. L'écart entre les deux a accru le coût des transactions de la politique étrangère allemande puisqu’il affecte la réactivité des autres acteurs face au leadership de l'Allemagne au sein de l'UE. Pour cette raison, l’Allemagne doit revoir et renouveler la stratégie de sa politique étrangère.

Der European Council on Foreign Relations vertritt keine gemeinsamen Positionen. ECFR-Publikationen geben lediglich die Ansichten der einzelnen Autor:innen wieder.